Derrière l’incendie géant près de Kiev, un scandale de raffinage illégal ?

Jeudi 18 juin 2015

Derrière l’incendie géant près de Kiev, un scandale de raffinage illégal ?

Le Point - Publié le 16/06/2015 à 17:31

Le sinistre s’est déclaré dans la nuit du 8 juin et a fait 5 morts près de la capitale de l’Ukraine. L’incendie n’est toujours pas éteint.

Source AFP

Qui est responsable du gigantesque incendie d’un dépôt de pétrole près de Kiev ayant fait cinq morts ? La polémique enfle en Ukraine après les accusations portées contre un ex-haut responsable du parquet général qui serait derrière un commerce de raffinage illégal et dangereux. Le sinistre s’est déclaré dans la nuit du 8 juin à 30 km au sud-ouest de la capitale ukrainienne et a été suivi le lendemain d’une série de fortes explosions lorsque le feu s’est propagé à d’autres réservoirs de pétrole. Une semaine après, l’incendie, qui a provoqué une forte pollution à Kiev, n’est toujours pas éteint, selon des responsables officiels, qui espèrent que les pluies prévues pour cette semaine en viendront enfin à bout. Cette catastrophe n’a pas fini de faire parler d’elle dans la capitale et la recherche des coupables a tourné à l’affrontement entre les services de sécurité (SBU) et le parquet, deux institutions très puissantes dont les dirigeants sont largement considérés comme intouchables.

Tout a commencé lorsque le chef du SBU, Valentin Nalivaïtchenko, a affirmé que des activités de raffinage se déroulaient de manière secrète dans le dépôt de pétrole détenu par le groupe ukrainien BRSM-Nafta. Affirmant avoir de solides preuves, le directeur du SBU a assuré qu’un des hommes-clés de ce système, qui reposait sur un mépris des normes de production afin d’obtenir des produits bon marché, était un ancien vice-procureur général, limogé en février, et figurant parmi les propriétaires de BRSM-Nafta, via des sociétés offshore. Cet ex-procureur adjoint, Anatoli Danilenko, « a couvert ces activités criminelles et y a participé », a-t-il déclaré, selon des images télévisées lundi. Le patron des services secrets ukrainiens a aussi accusé la société d’avoir agi avec la complicité du géant russe de la pétrochimie Sibur, notamment. « Ce schéma de corruption lié aux activités illégales de ce dépôt de pétrole met directement en scène d’importantes entreprises russes (…) et des sociétés offshore », a-t-il déclaré.

Méthodes mafieuses

Ces accusations ont immédiatement été qualifiées de calomnies par le parquet. « Ni moi, ni ma famille, ni mes proches, ni mes enfants n’ont de lien avec cette compagnie » pétrolière, a de son côté réagi Anatoli Danilenko, dans une interview diffusée mardi par la chaîne de télévision ukrainienne Kanal 5.

Le chef du SBU et l’ex-procureur adjoint ont tous deux été respectivement convoqués pour interrogatoire par leurs institutions respectives. Selon le SBU, et plusieurs experts du secteur, BRSM-Nafta réalise ces opérations de raffinage sans aucune supervision, alors qu’elles sont très dangereuses et devraient être effectuées dans des usines pétrochimiques spécialisées régulées par l’État. « Ce n’est un secret pour personne dans le secteur pétrolier que les équipements de BRSM-Nafta sont utilisés pour faire des produits maison », a déclaré Serguï Kouïoun, du groupe de consultants A95. « Ce ne sont pas des usines, ce sont juste des équipements utilisés pour mélanger divers composants, tous très toxiques. Leur mauvaise [gestion] (…) peut provoquer une explosion et aboutir à l’incendie que nous avons observé », a-t-il affirmé. De telles conjectures ont été largement relayées par les médias ukrainiens, alors qu’officiellement aucune explication n’a encore été donnée.

BRSM-Nafta a de son côté fermement démenti ces allégations et a dénoncé des méthodes mafieuses visant à prendre son contrôle. Selon son responsable du marketing, Olexandre Melnitchouk, plusieurs engins explosifs ont ainsi déjà été découverts près de divers dépôts de pétrole du groupe depuis août.

Autre problème, les élites ukrainiennes n’ont quasiment jamais été renouvelées, estiment des experts. L’actuel procureur général, Viktor Chokine, arrivé à ce poste en février 2015, avait par exemple déjà été procureur général adjoint à deux reprises en 2002-2003 et de 2004 à 2007. « Ces structures n’ont pas encore été réformées (…), nous sommes seulement au début du chemin », a indiqué le politologue Oleksiï Garan.

Pour d’autres observateurs, ce nouveau scandale permet aussi aux autorités de détourner l’attention des vrais problèmes économiques de l’Ukraine, ravagée par près de trois ans de récession et plus d’un an de guerre dans l’Est séparatiste pro-russe.

Revenir en haut