Attentat de Karachi : 15 ans après, les victimes dénoncent un « enterrement » judiciaire

Dimanche 7 mai 2017 — Dernier ajout vendredi 2 juin 2017

Attentat de Karachi : 15 ans après, les victimes dénoncent un « enterrement » judiciaire

Le 8 mai 2002, une voiture piégée tuait 11 employés de la Direction des chantiers navals au Pakistan. Bernard Cazeneuve doit rendre hommage lundi aux victimes.

Source AFP Publié le 07/05/2017 à 15:46 | Le Point.fr

Quinze ans après l’attentat de Karachi, les victimes se posent encore de nombreuses questions qui resteront probablement à jamais sans réponse. Qui est derrière l’attentat, et pourquoi ? L’attaque contre des ouvriers français qui oeuvraient à l’époque à la construction de sous-marins français vendus au Pakistan a été le point de départ d’un des plus importants scandales politico-financiers de la seconde moitié du XXe siècle. Le 8 mai 2002, une voiture piégée précipitée contre un bus transportant des salariés de la Direction des chantiers navals (DCN) explosait ainsi devant l’hôtel Sheraton à Karachi, tuant quinze personnes, dont onze employés français, et en blessant douze autres. Tous travaillaient à la construction d’un des trois sous-marins Agosta vendus en 1994 au Pakistan par la France, sous le gouvernement d’Édouard Balladur.

Lundi, dans son fief de Cherbourg, le Premier ministre Bernard Cazeneuve rendra hommage aux victimes de cette attaque, encore entourée de zones d’ombre. « On espérait de ce quinquennat un élan politique pour faire la lumière sur cette affaire », regrette Virginie Bled, l’une des veuves de l’attentat. L’enquête qui privilégiait au départ la piste Al-Qaïda a conduit à révéler l’affaire de financement occulte présumé de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur en 1995.

Les moyens du parquet antiterroriste manquent

Le juge antiterroriste Marc Trévidic s’est orienté à partir de 2009 vers l’hypothèse d’une vengeance ourdie contre Paris après la décision de Jacques Chirac en 1996 d’arrêter le versement des commissions – légales à l’époque – à des responsables pakistanais. Ce mobile financier était apparu dans les notes rédigées quelques mois après l’attaque par un ancien de la DST, les « rapports » Nautilus, qui évoquaient des rétrocommissions pour financer la campagne d’Édouard Balladur. Cette thèse laisse entrevoir un début d’explication aux yeux des victimes, mais leurs espoirs se sont heurtés à l’échec d’une commission rogatoire au Pakistan, au refus d’entendre des témoins et au secret défense sur certains documents. « Globalement, les familles sont confrontées à l’échec flagrant de l’autorité judiciaire dans la recherche de la vérité », estime Olivier Morice, avocat de parties civiles.

« Depuis le départ du juge Trévidic, il y a dix-huit mois, plus personne ne connaît le dossier au pôle antiterroriste et les moyens manquent. Des dossiers ont été priorisés pour en enterrer d’autres », déplore Gilles Sanson, blessé dans l’attentat. La présidence du tribunal de grande instance de Paris souligne qu’« un effort considérable a été fait pour renforcer le pôle antiterroriste, passé de 8 à 11 magistrats ». Mais les juges font face à l’afflux des dossiers d’attentats djihadistes.

Parallèlement à l’enquête terroriste, les magistrats Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire, chargés du volet financier de l’affaire entre 2011 et 2014, ont acquis la conviction que la campagne d’Édouard Balladur a été en partie financée par des rétrocommissions – illégales – sur les contrats de sous-marins au Pakistan et de frégates à l’Arabie saoudite.

Selon l’enquête, le réseau « K », coordonné par le Saoudien Ali Ben Moussalem, soupçonné de financement d’organisations terroristes, aurait été imposé en fin de processus pour enrichir ses membres et financer illégalement la campagne Balladur. Les juges se sont notamment interrogés sur une somme de 10,2 millions de francs en espèces versée sur son compte de campagne.

« Enterrer un dossier »

En 2014, les magistrats ont renvoyé devant le tribunal correctionnel six protagonistes, dont Nicolas Bazire, ex-directeur de la campagne, Thierry Gaubert, alors membre du cabinet du ministre du Budget Nicolas Sarkozy, et l’intermédiaire Ziad Takieddine. Ce renvoi, validé en appel en janvier après deux années de péripéties judiciaires, fait l’objet d’un pourvoi en cassation et une question prioritaire de constitutionnalité sera examinée en juin, retardant encore l’échéance d’un procès.

« On arrive à enterrer un dossier en multipliant les effets procéduraux sur la recevabilité des parties civiles et la prescription et en confiant le pan le plus important de l’affaire à la CJR, maintenue malgré les promesses du candidat François Hollande de la supprimer », déplore Marie Dosé, avocate de deux veuves et de cinq familles de blessés. Les cas d’Édouard Balladur et de son ancien ministre de la Défense François Léotard ont été disjoints au profit de la Cour de justice de la République (CJR) qui « procède activement à des actes d’investigation pour arriver à la fin de l’instruction prochaine », selon une source proche du dossier. « Est-ce qu’Édouard Balladur et François Léotard ont été entendus ? De cette procédure on ne sait rien », affirme l’avocate Marie Dosé.

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