Blanchiment : le modèle nordique de « transparence » à l’épreuve des affaires

Samedi 30 mars 2019

Blanchiment : le modèle nordique de « transparence » à l’épreuve des affaires

30/03/2019 | 08:01

STOCKHOLM (awp/afp) - Ont-ils péché par excès de confiance ? Les pays nordiques sont frappés de stupéfaction en découvrant jour après jour l’ampleur des affaires de blanchiment mettant en cause leurs banques et leur sacrosaint modèle de « transparence » cité en exemple dans le monde entier.

La crise financière de 2008 avait enfoncé un coin dans la vertu présumée des banques nordiques en dévoilant l’étendue des investissements dans des actifs « pourris » des établissements islandais, laissés quasiment à l’agonie puis assainis.

Mais les banques des autres pays de la région avaient été largement épargnées par le scandale.

Plus d’une décennie plus tard, les révélations de transactions suspectes de la Danoise Danske Bank en Estonie et la perquisition du siège de Swedbank près de Stockholm ont ébranlé les consciences dans les monarchies luthériennes, dont les églises ont longtemps retenti des sermons associant lucre et perdition des âmes.

"Dès qu’une affaire de cette nature arrive, on réagit très violemment (…). C’est une question de mentalité : les Scandinaves ont confiance en leurs institutions", explique Christian Bjørnskov, professeur d’économie à l’université d’Aarhus au Danemark.

Ces mêmes monarchies scandinaves qui ont inventé un « modèle » de prospérité fondé - à grands traits - sur un juste équilibre entre liberté d’entreprendre et protection sociale, le tout cautionné par un haut degré de transparence.

Innocence révolue

Les fonds douteux impliquant Danske Bank atteignent la somme mirobolante de 200 milliards d’euros.

« Le temps de l’innocence est révolu depuis longtemps. Il est temps de réaliser que les grandes banques nordiques (…) ont sapé leur réputation internationale », tonnait vendredi le quotidien financier suédois Dagens Industri.

« C’est justement cette réputation flatteuse qui les exposait à devenir un instrument pour laver l’argent sale ».

Première banque nordique, Nordea, qui vient de délocaliser son siège de Stockholm à Helsinki pour des raisons fiscales mal digérées en Suède, fait également l’objet de soupçons.

Le coup est d’autant plus rude en Suède que Swedbank était perçu comme un établissement pour « bons pères de famille », né en 1997 de la fusion de deux caisses d’épargne populaire à « faible risque ».

Or Swedbank opère aujourd’hui dans une région à hauts risques, à savoir les pays Baltes dont elle est le premier prêteur privé et par où transitent des fortunes en provenance de Russie.

Comment expliquer que le Danemark et la Suède, respectivement première et troisième du classement annuel de l’ONG Transparency International sur la perception de la corruption, fassent aujourd’hui figure, comme l’écrit Dagens Industri, de « paradis du blanchiment » ?

« La société a été très lente à imposer au secteur financier ses limites et attentes », diagnostique Martin Nordh, expert en matière de lutte contre la criminalité financière.

Le signal d’alarme a été déclenché par la 4e directive européenne sur le blanchiment en 2017, « sommant les entreprises concernées de prendre des mesures efficaces contre la criminalité financière ».

Le tribunal boursier

Cette semaine à Stockholm, les Premiers ministres suédois Stefan Löfven et danois Lars Løkke Ramussen ont plaidé pour des sanctions exemplaires contre les banques en infraction.

« Cela ruine la confiance dans tout le système financier, et la réputation de nos pays », s’est alarmé le premier. Le second a rappelé que, comme la Suède, le Danemark avait durci les amendes en guise de « signal très fort » aux candidats aux malversations.

Les amendes ont été récemment multipliées par huit par Copenhague et les banques danoises encourent désormais des sanctions financières équivalant à 20 fois le montant des bénéfices illégalement perçus. Leurs cadres jusqu’à six ans de prison.

Si la patronne de Swedbank, Birgitte Bonnesen, a été limogée jeudi, elle n’est qu’un « bouc émissaire », qui a certes une part de responsabilité mais a été sacrifiée pour sauver le conseil d’administration, déplore Louise Brown de Transparency International.

En Suède, « le parquet financier aura peut-être des difficultés à faire condamner la banque au pénal, mais le meilleur tribunal reste encore la Bourse », où Swedbank a perdu plus de 30% de sa capitalisation depuis le début de l’année, ironise Dagens Industri.

Et, surtout, note le quotidien Børsen, « la grande question reste de savoir si les banques ont compris le message. Ont-elles la volonté sincère de jouer un rôle plus constructif dans la société qu’auparavant ? ».

En matière de tour de passe-passe financier, les contribuables nordiques qui ont aujourd’hui la dent si dure contre leurs entreprises ne sont toutefois pas en reste : les Panama Papers ont révélé en 2016 que des centaines d’entre eux plaçaient leurs bas de laine dans des paradis fiscaux.

burs-gab/hdy/evs

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