Vds M16, écrire à M.M. qui transmettra

Samedi 4 août 2007

Vds M16, écrire à M.M. qui transmettra

Retour sur les circuits du marchand d’armes Jacques Monsieur, écroué il y a dix jours.

Par Fabrice TASSEL

jeudi 28 avril 2005 (Liberation - 06:00)

« A noter qu’un important lot de M16 [des fusils d’assaut] serait à vendre dans le Golfe ; surplus de ce que les Amerlocks auraient amené il y a un an. As-tu la possibilité de chercher ? Jacques. » C’était en mars 1992. La première guerre du Golfe venait de s’achever, une autre déchirait déjà les Balkans. Dans le bureau d’une propriété du Cher, un fax avale et crache des centaines de pages. Depuis son domaine des Amourettes, avec haras et chevaux de race, près de Bourges, Jacques Monsieur dialogue avec le monde entier. Il cherche, commande et vend des armes et du matériel de guerre. C’est son métier. Ce fax et son carnet d’adresses sont ses uniques instruments de travail, qui lui permettent de brasser certains jours jusqu’à des millions de dollars. Il vient d’être écroué à Bourges (lire ci-dessous).

Commande. Des courriers, des demandes de virements bancaires ou de remises en espèces ­ toujours par dizaines ou centaines de milliers de dollars ­ dans des banques à Genève, au Luxembourg, à Vienne ou Anvers, des factures et des bons de commandes constituent l’essentiel des documents saisis à son domicile en 1999 par les gendarmes. Par exemple, le 23 août 1994, Jacques Monsieur écrit à un interlocuteur du ministère de la Défense et de la Logistique iranien : « Nous voudrions acheter auprès de vous des munitions étrangères, de 203 mm. J’en cherche 3 000 pièces. Paiement par lettre de crédit d’une banque ouest-européenne. La destination finale est la République fédérale de Bosnie-Herzégovine, musulmane-croate. Nous assurons le transport. Dans l’attente de votre réponse. » Jacques Monsieur a négocié des dizaines de marchés de ce type. Il ne travaille qu’à ce niveau. « C’est le grand professionnel par excellence, a écrit à son sujet Johan Peleman, un spécialiste des trafics d’armes. Il s’installe près du pouvoir, et crée des réseaux entre Etats. Chic, à demi aristocrate, le cas typique d’un intermédiaire de la guerre froide, comme les grands intermédiaires arabes. C’est un joueur de l’ancien monde. »

Chine. Parmi tous les marchés qui apparaissent dans ces courriers, ceux négociés lors du conflit dans les Balkans éclairent le fonctionnement du commerce des armes. Un exemple concret est fourni par une livraison d’armes organisée par Monsieur depuis la Chine vers la Croatie. Première étape : contourner l’embargo voté par l’ONU, dont la résolution 713 avait décrété l’interdiction absolue de ventes d’armes à destination de l’ex-Yougoslavie, une mesure qui a concerné jusqu’en 1995 toutes les républiques des Balkans.

Il fallait alors maquiller le commerce de matériel de guerre. Ainsi, dans une lettre adressée le 29 avril 1992 au ministre des finances de la République de la Croatie, Monsieur écrit : « Comme la vente de ces équipements à votre pays est strictement interdite par tous les pays membres de l’ONU et que les banques, ici, sont l’objet d’un contrôle strict des autorités locales, nos banques ont besoin d’un montage financier parallèle acceptable. Nous pensons que le complexe pétrochimique de l’INA fournirait une parfaite couverture. »

Ce point réglé, il faut ensuite organiser des rencontres entre acheteurs et vendeurs. La preuve par ce fax du 18 mars 1993, signé de Monsieur, qui évoque un déplacement d’hommes politiques croates : « Ils sont d’accord pour aller à Pékin en visite non officielle et avec leur passeport personnel, non diplomatique. Se déplaceront : le vice-ministre de la Défense, directement responsable des achats, son adjoint chef de cabinet ou un spécialiste en matériel, un responsable du ministère des Finances, un contrôleur du parti. »

Colère. Parfois des intermédiaires prennent des initiatives maladroites. Ce 2 décembre 1992, Jacques Monsieur est furieux et le fait savoir à un correspondant croate : « J’ai reçu trois appels de Pékin aujourd’hui ! C’est la panique là-bas et le fait que C. [un haut fonctionnaire] ait décidé de me court-circuiter et d’envoyer une délégation crée un désarroi total là-bas ! Vous savez que la Chine n’a jamais fait de cadeau à votre pays au sein de l’ONU. Si C. envoie une délégation et parle de crédit cela va créer l’effet d’une bombe car la destination réelle du financement va remonter à la surface. Je rappelle qu’ils ont fait un financement pour une autre opération qui camoufle la vraie. Vous pensez bien qu’il n’y a personne pour donner un crédit à une opération qui est sous embargo de l’ONU. »

Tous ces obstacles ont finalement été franchis, et le marché est conclu grâce à la couverture définie quelques mois plus tôt. Comme prévu, la fausse facture est adressée le 9 septembre 1993 au complexe pétrochimique croate, l’INA. En apparence, l’INA achète à la Chine « 10 000 pièces-valves hydrauliques », et « 24 conteneurs » pour un total de « 2 352 800 USD, payables à BNP (Suisse), 1, quai du Mont-Blanc (Genève) ». Suit un numéro de compte.

La vraie facture est adressée par Monsieur au ministère de la Défense croate. A la place des deux séries de « valves hydrauliques » apparaissent deux mentions : « 5 000 pièces munitions 122 mm pour [des chars] M-38 Howitzer » et « 5 000 pièces Munitions 122 mm pour D-30 Howitzer ». A payer : « 2 352 800 USD », toujours à la BNP en Suisse.

Ne restait à Monsieur qu’à acheminer les armes chinoises vers la Croatie.

© libération

Publié avec l’aimable autorisation du journal Libération.

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