ATP : Des joueurs italiens dans le viseur

Dimanche 30 septembre 2007

Dimanche 30 Septembre 2007

ATP : Des joueurs italiens dans le viseur

Par Damien BURNIER et Eric FROSIO

Le Journal du Dimanche

Alors que l’ATP avait les joueurs russes, dont le premier d’entre eux, Davydenko, dans le collimateur, les suspicions de matches truqués prennent une autre direction. Plusieurs joueurs italiens font en effet l’objet d’une enquête après des résultats étonnants dans des tournois peu exposés, et parce qu’ils possèdent leurs propres comptes sur des sites de paris en ligne.

Depuis quelques semaines, « l’affaire Davydenko » est sur toutes les lèvres. Le 2 août, le Russe, 4e joueur mondial, a abandonné au tournoi de Sopot face à l’obscur Argentin Martin Vassalo-Arguello. Le match a généré près de 5 millions d’euros de transactions sur le site internet de paris Betfair, soit dix fois plus qu’à l’ordinaire, l’essentiel de la somme se portant sur l’improbable succès de Vassalo-Arguello. De quoi nourrir suffisamment de soupçons pour que Betfair alerte l’ATP, qui a immédiatement ouvert une enquête.

Or, en attendant que Nikolaï Davydenko soit interrogé, probablement courant octobre, l’affaire des paris truqués pourrait prendre une nouvelle direction, celle de l’Italie. L’ATP, qui gère le circuit professionnel masculin, s’intéresse en effet de très près aux éventuels agissements de joueurs transalpins. C’est ce qui ressort d’une correspondance, échangée depuis plus d’un mois, par Gayle David Bradshaw, l’un des vice-présidents exécutifs de l’ATP, et le groupement des principaux bookmakers du Net, ESSA (European Sports Security Association).

Ces courriels confidentiels, que nous nous sommes procurés, indiquent notamment que plusieurs joueurs transalpins possèdent un compte sur des sites de paris en ligne : Potito Starace (28e mondial), Daniele Bracciali (175e, mais 49e en 2006), Giorgio Galimberti (tombé dans les profondeurs du classement), Alessio Di Mauro (117e) et Federico Luzzi (127e). Pour les trois premiers, les comptes auraient été ouverts chez interwetten.com. Pour chacun d’entre eux, l’ATP a demandé un rapport complet : les données confidentielles enregistrées (coordonnées bancaires, adresse électronique), le détail des paris effectués, avec les montants afférents. Autant d’informations qui lui ont été transmises, les dernières en date du 11 septembre.

Auparavant, le vice-président de l’ATP, en charge des règlements et compétitions, avait même étendu sa requête. Voici ce qu’il écrivait le 5 septembre aux responsables de l’ESSA : "Compte tenu du grand nombre de résultats positifs concernant les joueurs italiens possédant des comptes et pariant sur le tennis, j’aimerais que vos membres effectuent des vérifications à propos des joueurs suivants : Mose Navarra, Andreas Seppi, Simone Bolelli, Fabio Fognini, Stefano Galvani, Davide Sanguinetti.« Recherche cette fois infructueuse. Reste que les Russes n’ont manifestement plus le monopole de la suspicion. »J’ai déjà entendu parler d’une rumeur concernant les joueurs italiens« , nous confie d’ailleurs Julien Benneteau. Joueur le plus réputé de ce »recensement« , Potito Starace, que nous n’avons pu joindre, a également vu son nom apparaître cette semaine dans la presse flamande. »Beaucoup plus de magouilles qu’on veut bien le dire« Le Belge Gilles Elseneer, ancien joueur du Top 100, affirme qu’on lui a proposé 100 000 euros pour se coucher face à l’Italien, en 2005 au premier tour de Wimbledon. Son refus et sa victoire sur le court lui ont finalement rapporté cinq fois moins. Parmi une liste de matches qualifiés de »suspects« par les bookmakers, le nom d’un autre Italien revient à plusieurs reprises : Filippo Volandri (44e mondial), joueur majeur sur terre battue, où il a battu Roger Federer à Rome cette saison. Volandri s’est signalé en s’inclinant nettement (6-3, 6-1) face à Gustavo Kuerten en février. Le Brésilien, en plein come-back, restait alors sur cinq défaites de rang. Miser sur son improbable victoire pouvait rapporter gros (il était côté à 4,50). »Guga avait trouvé le déroulement du match un peu bizarre, mais Volandri s’était défendu en invoquant une blessure à l’épaule", nous a fait savoir l’entourage de Kuerten.

Difficile, bien évidemment, d’en tirer d’autres conclusions pour l’instant. L’Italien Stefano Galvani (159e mondial) nous a en tout cas livré les siennes : « Comme le dopage, les paris sur Internet sont tabous. Celui qui joue ne va pas en parler aux autres. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas assez stupide pour faire exprès de perdre. En tout cas, les Italiens sont propres. Pas comme les Russes… » L’ATP, qui conseille aux joueurs approchés pour truquer les matches de l’en informer illico, prend le phénomène très au sérieux et enquête tous azimuts. Y compris parmi les coachs, qui seraient eux aussi très friands des sites de paris en ligne. Selon nos informations, une demande de renseignements a même été adressée à l’ESSA au sujet de Brad Gilbert, entraîneur d’Andy Murray après avoir été celui d’Agassi et Roddick. La requête a, semble-t-il, été classée sans suite.

L’ATP poursuit ses investigations, sans communiquer mais à grande échelle tant les « terrains de jeu » sont multiples. « Il y a beaucoup plus de magouilles qu’on veut bien le dire, notamment dans les tournois challengers », assure Julien Benneteau. Plus facile, en effet, de procéder à des arrangements sur des événements où l’exposition médiatique est moindre. Surtout qu’on y trouve des joueurs davantage dans le besoin, plus vulnérables à l’appât du gain. Sur Internet en revanche, tous les tournois sont égaux pour les bénéfices à en tirer. A l’instar des instances du tennis masculin, dont l’image et la probité sont en jeu, les bookmakers ont tout intérêt à ce que l’incendie soit circonscrit. Il en va de la crédibilité de leur business. David Pittel, secrétaire général de l’ESSA, confirme l’effort commun : « Cela fait dix-huit mois qu’on collabore avec l’ATP pour dénicher les tricheurs. » Pas un n’a encore été pris.

2007 © Le Journal du Dimanche

Publié avec l’aimable autorisation du Journal du Dimanche.

Visitez le site du Journal du Dimanche.

Source url de l’article.

Revenir en haut