Dimanche 02 Septembre 2007
Des miss transformées en call-girl
Par Stéphane JOAHNY (avec Didier CHALUMEAU à Nice)
Le Journal du Dimanche
Le « M. Claude » du Bassin méditerranéen est en garde à vue. Patron présumé d’un réseau international de prostitution, Elie Nahas, un homme d’affaires libanais de 44 ans, a été arrêté à Cannes (Alpes-Maritimes) avec une quinzaine de personnes, des complices ou associés. Les policiers de l’OCRTEH ont déclenché leur coup de filet avec l’appui de la PJ de Nice.
Les policiers de l’OCRTEH (Office central de répression de la traite des êtres humains), qui le pistent depuis le début de l’année, ont amassé plusieurs dizaines d’heures d’écoutes téléphoniques et autant de surveillance, notamment au moment du Festival de Cannes, avant de déclencher leur coup de filet avec l’appui de la PJ de Nice. Avec cinq de ses adjoints, il devrait être présenté demain, après 96 heures de garde à vue, au juge marseillais Dominique Voglimacci-Stephanopoli. L’enquête devrait ensuite prendre un caractère international.
Avec une succursale à Milan, capitale de la mode en Italie, une autre au Venezuela, pays des reines de beauté, une troisième à Dubai, nouvel eldorado du business planétaire, la société libanaise de mannequinat Style Modeling Agency a des allures de petite multinationale de la beauté. Sur son site internet - autoproclamé le meilleur du Liban -, des photos de dizaines de jeunes femmes. Un press-book en ligne comme il en existe tant ? Sans doute, mais pas seulement, puisque plusieurs modèles, notamment vénézuéliens, figurant sur ce « catalogue » ont été interpellés dans l’opération de police de jeudi, à Cannes, avant d’être brièvement placés en garde à vue.
Festival de Cannes, GP de Monaco…
Pour les enquêteurs, ces activités de mannequinat serviraient en fait de paravent à Elie Nahas pour amener progressivement ces jeunes femmes vers des réseaux de prostitution. "Il organise notamment des élections de miss - miss internet, miss Bikini, miss tourisme…- pour promettre aux plus belles une carrière de mannequin, explique une source proche de l’enquête. Après une mise en condition - séances de photos, press-book, etc. -, il les envoie participer à des « événements » dans le milieu du luxe avec carré VIP, défilés de mode, soirées jet-set. Et cela se termine dans une chambre de palace, sur un yacht ou dans une villa privée avec des ressortissants de pays du Golfe ou du Moyen-Orient."
Les premiers renseignements parviennent aux policiers français en début d’année. Très vite, le rôle prépondérant du Libanais apparaît. Puis se dessine l’organigramme de son réseau, fondé essentiellement sur des personnes de nationalité ou d’origine libanaise. L’homme n’a pas d’agence de mannequins en France mais dispose d’un appartement situé à Cannes, dans une résidence au nom ronflant, le Palais Royal Croisette, sa base logistique depuis plusieurs années. La « saison », de mai à septembre, y commence avec le Festival du film puis avec le grand prix de Formule 1 de Monaco, et se poursuit tout l’été. « Nous avons attendu que le patron arrive à Cannes pour intervenir », confirme Gilles Leclair, directeur adjoint de la police judiciaire.
De la « marchandise » âgée de 18 à 25 ans
Plusieurs centaines de milliers d’euros en liquide ont été saisis à cette occasion, mais nombre de paiements s’effectuaient par virements. C’est pourquoi les policiers spécialisés de l’OCRGDF (Office central de répression de la grande délinquance financière) ont été cosaisis de l’enquête. Selon plusieurs sources concordantes, les prestations des jeunes femmes se monnayaient dans une fourchette assez large de 2 000 à 30 000 euros. Des tarifs pratiqués à la tête du client ? Plutôt selon le minois et les mensurations de la belle. Brune ou blonde, sud-américaine ou européenne… le client était roi. "Sur les écoutes, ils en parlent comme de la marchandise« , témoigne une source policière. Un volant d’une trentaine de filles, sur la centaine que »dirige" Elie Nahas, se relaie en permanence sur Cannes et les environs.
Agées de 18 à 25 ans et originaires pour la plupart d’Europe de l’Est et du Venezuela, toutes ne sont pas des apprenties top models victimes du miroir aux alouettes. Mais plusieurs ont fait état de chantage à la carrière, de pressions morales, de passeports confisqués… D’autres s’étaient fait une raison et avaient pris goût à l’argent facile, même si elles ne touchaient qu’un faible pourcentage des sommes versées par leurs riches clients. Logées dans des appartements privés, elles étaient invitées à participer à des fêtes somptueuses payées à coups de pétrodollars. De grosses commissions atterrissaient dans les poches du businessman libanais, qui rétribuait ensuite ses partenaires en charge de l’hébergement des filles, de leur accueil, de leur transport…
Ou encore ses rabatteurs comme cet employé du Carlton Palace, dont la mission consistait à alerter le boss de l’arrivée de riches clients moyen-orientaux, avant de les démarcher pour leur proposer des filles… Après un séjour sur la Côte d’Azur, celles-ci prenaient généralement la direction d’Ibiza ou de Malaga pour d’autres festivités estivales. Aucun des numéros de téléphone, contactés hier, des différentes adresses de Style Modeling Agency ne répondait. Sauf celui de Jal el-Dib, près de Beyrouth, au Liban, où, après hésitation, une voix masculine indiquait qu’il s’agissait d’un "mauvais numéro".
Publié avec l’aimable autorisation du Journal du Dimanche.
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