La mozzarella, victime collatérale de la Camorra
De notre correspondant à Rome ERIC JOZSEF
QUOTIDIEN : jeudi 27 mars 2008
On connaît celle de Caserte, délicate et légèrement repliée, la Salernitaine, plus classique, ou celle en forme de tresse produite à Volturno. Mais celle qui intéresse les Japonais, les Coréens et Bruxelles est à la dioxine. Produite en Campanie, la région de Naples, la mozzarella au lait de bufflonne - le caviar du genre - est en effet sous stricte observation. Tokyo et Séoul ont décidé de suspendre leurs importations après la détection d’un taux de dioxine légèrement supérieur à la normale dans le lait de certaines bufflonnes.
Déchets. De son côté, l’Union européenne exige des explications de la part des autorités italiennes alors que la crise des déchets en Campanie pourrait être à l’origine de la contamination des pâtures des animaux. La Commission a donné jusqu’à jeudi à Rome pour « fournir toutes les informations disponibles ». « Il ne faut pas céder à la panique tant qu’il n’y a pas de preuves concrètes », a néanmoins souligné le porte-parole de la Commission. Il n’empêche. Les soupçons ont déjà sérieusement nui aux ventes de mozzarella di bufala campana.
Selon les producteurs de mozzarella d’origine contrôlée, il s’agit de « la crise la plus grave jamais enregistrée ». Le président du consortium, Franco Consalvo, estime que les ventes ont chuté de 30 à 35 %. En deux mois, c’est-à-dire depuis la diffusion des images de Naples envahie par les ordures, les producteurs de mozzarella auraient perdu 30 millions d’euros : « Les consommateurs de Campanie ont été les premiers à acheter moins de mozzarella, puis cela a été le tour des clients du nord de l’Italie. » Ce sont désormais les exportations qui sont menacées. Les magistrats italiens ont récemment mis sous enquête 109 personnes pour fraude et empoisonnement de substances alimentaires. En toile de fond : le trafic de déchets toxiques organisé par la Camorra, la criminalité organisée napolitaine. Depuis des années, celle-ci déverse des produits industriels dans la nature, contaminant certains territoires de Campanie. Un récent documentaire intitulé Biutiful Cauntri a révélé que des troupeaux de chèvres devaient être abattus, les animaux étant intoxiqués à la dioxine.
Pour la mozzarella, la situation semble néanmoins beaucoup moins dramatique. Selon les premières indications, seuls quelques élevages seraient touchés, qui plus est, dans des proportions négligeables. Les contrôles effectués auprès de 130 producteurs de mozzarella ont mis en évidence « des indices très légèrement supérieurs aux normes européennes » dans 25 cas.
« Bulle ». Par mesure de précaution, 83 élevages approvisionnant en lait les producteurs de mozzarella ont été placés sous séquestre et le lait incriminé sera détruit. « Il n’y a pas de motifs concrets pour estimer que la mozzarella de bufflonne n’est pas fiable », juge Antonio Limone, responsable de l’Institut zooprophylactique du Mezzogiorno qui parle de « bulle médiatique ». Selon les experts, au vu des niveaux des taux de dioxine enregistrés (de 6,2 à 6,8 picogrammes contre un seuil légal de 6), seule une consommation exagérée de mozzarella pourrait être dangereuse : à peu près une tonne de fromage de bufflonne par jour pendant plusieurs semaines.
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