La ’Ndrangheta, invisible poison de la quiétude helvétique

Jeudi 17 juin 2021

International Lettres de

La ’Ndrangheta, invisible poison de la quiétude helvétique

L’implantation territoriale de la mafia calabraise ne cesse de s’accroître dans le pays, sans émouvoir grand monde. Un livre décrypte le phénomène.

Par Serge Enderlin (Genève, correspondance) Publié aujourd’hui à 01h19, mis à jour à 06h37

LETTRE DE GENÈVE

« Seul Dieu peut me juger ». Posté sur Instagram, ce doigt d’honneur d’un mafieux transalpin avait pour destinataires la justice et l’opinion publique suisses, après que le tribunal pénal fédéral de Bellinzone avait renoncé à l’expulser vers l’Italie en raison d’un vice de forme dans la procédure. L’individu est ressorti libre de l’audience, toujours muni de son permis B, un titre de séjour de longue durée, que le canton du Tessin lui avait octroyé sans faire d’histoires.

« On peut sérieusement se demander quelle est la chaîne de complicités, à qui sont payés les pots-de-vin, et qui sont les intermédiaires. Car l’obtention de permis de résidence par des mafieux en cavale est en forte augmentation », constate la journaliste d’investigation Madeleine Rossi, qui consacre un livre, La Mafia en Suisse (Editions Attinger), à la conquête du territoire helvétique par les différents bras du crime organisé italien. L’ouvrage se concentre sur l’expansion rampante de la ’Ndrangheta calabraise qui a largement supplanté ces dernières années ses rivales napolitaine (la Camorra) et sicilienne (Cosa Nostra).

Holding internationale du crime

En janvier s’est ouvert à Lamezia Terme en Calabre, dans un palais de justice aux allures de bunker construit pour l’occasion, le maxi-procès dit « Rinascita-Scott ». Il doit être à la mafia calabraise ce qu’avait été le grand procès de Palerme en 1986-1987 pour Cosa Nostra. Il n’est pas inutile de rappeler les mots de Nicola Gratteri, le procureur de Catanzaro : « [La ’Ndrangheta] n’est plus une mafia de bergers qui pratique les enlèvements, mais une holding internationale du crime. »

La plupart des accusés ont été arrêtés lors de raids de la police en décembre 2019 en Italie, Allemagne, Suisse et Bulgarie. L’éventail des crimes et délits qui leur sont reprochés est très complet : association mafieuse, meurtre, trafic de drogue, d’armes, corruption, extorsion, usure, abus de pouvoir, recel, blanchiment d’argent et même atteinte à l’environnement. En Calabre, la mafia a infiltré quasiment toutes les sphères de la vie publique, les mairies, les hôpitaux, les cimetières, et… les tribunaux. Les autorités estiment à 150 le nombre de familles de la ’Ndrangheta et à au moins 6 000 ses membres et associés en Calabre, auxquels s’ajoutent des milliers ailleurs dans le monde, en Amérique du Sud et à New York, notamment. Chiffre d’affaires annuel de cette multinationale criminelle : 50 milliards d’euros, selon le procureur Gratteri. Lire la suite.

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