Le casse à 81 millions finit au paradis du blanchiment d’argent
Trends Tendances
21/03/16 à 14:21 - Mise à jour à 14:21
Source : Afp
Début février, des hackers volaient au Bangladesh 81 millions de dollars dans l’une des plus grosses fraudes bancaires de l’histoire. La trace du butin de ce cyber-braquage s’est depuis perdue aux Philippines, paradis du blanchiment d’argent.
Le casse était particulièrement audacieux : avec de faux ordres de virements, les mystérieux pirates informatiques ont réussi à se faire transférer le 5 février ces millions que la banque centrale bangladaise détenait sur un compte à l’antenne de New York de la banque centrale américaine (Fed).
Des fautes de frappe sur d’autres demandes de virement ont éveillé les soupçons, et permis d’éviter que les malfaiteurs ne piochent encore plus dans les réserves de change de ce pays parmi les plus pauvres au monde.
Réussir à duper la Fed était un exploit. Mais aussi fallait-il être en mesure d’écouler rapidement les millions. Force est de reconnaître que les carences du système bancaire philippin ont aidé.
L’archipel d’Asie du Sud-Est a l’une des législations les plus protectrices en matière de secret bancaire. Et ses casinos sont exempts des règles destinées à prévenir le blanchiment.
« Les Philippines sont une destination très attrayante (pour l’argent sale) parce qu’il y a des failles monumentales dans notre droit. Il est très simple de blanchir l’argent ici », se désole auprès de l’AFP le sénateur Sergio Osmena.
Fusible ?
Dans un scénario digne des meilleurs romans policiers, les cyber-cambrioleurs ont pu envoyer les 81 millions sur des comptes philippins. Il a fallu quatre jours -une éternité- à l’archipel pour réagir. Entre-temps, les millions se sont volatilisés.
« La trace de l’argent se perd dans les casinos », déclarait mardi la directrice adjointe des services de lutte contre le blanchiment, Julia Abad, à la commission du Sénat philippin qui tente de faire la lumière sur le volet philippin du scandale.
Ce que l’on sait, c’est que le 5 février l’argent a atterri sur quatre comptes d’une agence de la Rizal Commercial Banking Corporation RCBC) à Makati, poumon financier du pays.
« Je n’ai rien fait de mal. Si c’est un cauchemar, je veux me réveiller », déclarait cette semaine à la télévision locale Maia Deguito, responsable de cette succursale, arrêtée à l’aéroport de Manille quand elle tentait de quitter le pays. « Je vis dans la peur chaque jour », ajoutait-elle.
Pour les enquêteurs, les quatre comptes de la RCBC ont vraisemblablement été ouverts dans l’unique but de recevoir ces fonds, avec de fausses identités.
Mme Deguito affirme avoir reçu du directeur général de la RCBC lui-même, Lorenzo Tan, l’ordre de retransférer l’argent. Ce dernier dément. Est-elle une victime ? Un bouc-émissaire ? Un fusible ? Pour les enquêteurs, elle n’a pas le profil du cerveau.
« C’est une grosse opération qui ne pourrait avoir été manigancée depuis les Philippines », affirme le sénateur Ralph Recto.
Partie émergée de l’iceberg
Quoi qu’il en soit, les fonds sont ensuite partis vers des comptes appartenant à William Go, un homme d’affaires philippin d’origine chinoise, qui soutient quant à lui que sa signature a été contrefaite pour ouvrir ces comptes.
L’argent a ensuite transité chez Philrem, une société de courtage.
Son président, Salud Bautista, a dit au Sénat avoir transféré environ 30 millions à un certain Weikang Xu, décrit comme un agent organisant des séjours dans les casinos. Seule certitude pour la commission d’enquête du Sénat : il est d’origine chinoise.
Environ 29 millions ont atterri au Solaire, un des casinos de ce scintillant front de mer de Manille que les Philippines veulent transformer en nouvelle Mecque des jeux d’argent.
Les fonds sont devenus des jetons de casinos qui, selon la direction du Solaire, ne peuvent devenir du liquide qu’une fois qu’ils ont été joués.
Les 21 millions restants sont partis chez Eastern Hawaii Leisure, qui gère un casino à la clientèle chinoise à Santa Ana, dans le nord de l’archipel.
L’affaire pourrait selon le sénateur Osmena que la partie émergée de l’iceberg, d’un fléau du blanchiment beaucoup plus répandu aux Philippines.
« On s’est rendu compte (de cette affaire) car quelqu’un s’en est plaint », observe-t-il. « Mais si un trafiquant de drogue birman ou chinois veut blanchir son argent ici, personne ne nous alertera. »