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Les archives du parrain sicilien, livre ouvert sur Cosa Nostra
De notre correspondant à Rome ÉRIC JOZSEF
QUOTIDIEN : jeudi 3 janvier 2008
Le décryptage des messages du parrain des parrains Bernardo Provenzano - arrêté le 11 avril 2006 après quarante-trois ans de cavale - avait demandé plusieurs mois aux enquêteurs italiens. En capturant le 29 novembre son successeur, Salvatore Lo Piccolo, âgé de 65 ans, et son fils Sandro dans la banlieue de Palerme, les policiers siciliens n’ont pas eu ce problème : le nouveau chef ne prenait pas les mêmes précautions pour ses archives, dans lesquelles il notait tout en détail et en clair. L’essentiel de l’activité de Cosa Nostra sur le territoire palermitain depuis 2000 a ainsi été mis au jour, des extorsions de fonds aux noms des intermédiaires, du trafic de drogue à la gestion des salles de jeux en passant par les cibles des assassinats de la Pieuvre et les rétributions des hommes d’honneur.
« Il s’agit d’une carte globale de Cosa Nostra », commente La Repubblica, quotidien italien qui vient de publier quelques-uns des milliers de documents retrouvés dans le repaire de Salvatore Lo Piccolo. Tous les mouvements comptables étaient notamment scrupuleusement enregistrés. « 2.10.04 Motomar 1 400 euros. 2.10.04 Snai 500 euros. 2.10.04 Lobetti 1 750 euros… » A la main, Lo Piccolo aligne les sommes perçues au titre du pizzo (l’impôt mafieux). Des restaurants aux coiffeurs, des night-clubs aux chantiers navals et jusqu’à la piscine communale, aux vétérinaires et aux architectes : tous paient, ou presque. Les hommes de main du parrain contrôlent également les appels d’offres publics et privés, que ce soit pour les hôpitaux, le métro ou des centres de remise en forme, même lorsque des entreprises non siciliennes sont impliquées dans les transactions.
Correspondance. Côté dépenses, Lo Piccolo notait entre autres les salaires versés aux affiliés de l’organisation, aux avocats des boss et aux complices. Un petit chef de bande touchait 3 000 euros par mois, un peu plus que ses subordonnés. Grâce aux documents saisis, les enquêteurs disposent désormais d’une liste précise des membres de cette famille palermitaine, des noms de certains informateurs bien placés dans l’administration et d’une sorte de compte rendu de la vie quotidienne de Cosa Nostra.
Car Lo Piccolo entretenait également une correspondance intense avec quelques-uns de ses proches. Dans l’une de ses missives, le boss se plaint notamment auprès de Bernardo Provenzano des coups de filet effectués par la police qui déciment l’organisation : « Désormais, nous ne sommes plus que trois », écrit-il en évoquant la figure de Matteo Messina Denaro, le dernier grand parrain sicilien encore en fuite. Parfois, Lo Piccolo demande l’avis du parrain des parrains pour régler des conflits internes. Il s’informe en particulier sur l’attitude à adopter face au retour en Sicile des « Américains », à savoir les parents du boss Totuccio Inzerillo, exécuté en 1981 sur ordre des Corléonais. « Je vous demande de trouver un accord tous ensemble », lui répond Provenzano. A la tête de l’association criminelle, Lo Piccolo désignait également les hommes à abattre, comme Nicola Ingarao, boss exécuté en juin alors qu’il venait de sortir de prison. Quant à son fils, Sandro, âgé de 32 ans, il conservait les lettres d’amour de ses maîtresses, qui se plaignaient régulièrement de ses absences et de son « invisibilité ». En échange de leurs faveurs, il s’occupait de leur trouver un emploi ou une promotion.
Emoi. La publication d’une partie des archives a provoqué un vif émoi en Sicile. La rédaction palermitaine de La Repubblica et le domicile de deux journalistes ont été perquisitionnés sur ordre du parquet. La Confindustria, l’organisation patronale, qui depuis quelques semaines a lancé une offensive contre le racket en promettant d’exclure les adhérents qui céderaient aux exigences de la Pieuvre, a promis « d’être inflexible ». Mais la liste des centaines de commerçants et d’entrepreneurs inscrits sur le registre de Lo Piccolo montre que la bataille contre l’emprise mafieuse est loin d’être gagnée.
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