« On peut nourrir 12 milliards d’humains. Les victimes de famine sont donc assassinées »
Entretien avec Jean Ziegler, sociologue, ancien rapporteur à l’ONU, qui publie « Chemins d’espérance ».
Anne Crignon Publié le 26 février 2017 à 12h43
Un jour de décembre 2011, Jean Ziegler déjeunait avec José Bové « Chez Léon », un restaurant lyonnais. Le maire, Gérard Colomb, recevait à sa table un candidat d’alors à l’élection présidentielle, François Hollande. Jean Ziegler et Bové ont ce jour-là tenté d’attirer l’attention du futur président sur le problème de la faim dans le monde, en lui suggérant d’inclure dans son programme quelques mesures pour changer les choses. En vain.
Hollande, raconte Jean Ziegler, estimait que ce problème était « trop loin » des préoccupations communes. Et si c’était faux ? La conscience qu’une partie de l’humanité meurt chaque jour de n’avoir pas accès à l’eau et à la nourriture est une blessure très partagée. C’est le sentiment d’impuissance face aux famines, présentées comme une fatalité, qui crée la résignation.
Le sociologue suisse, ancien rapporteur de l’ONU sur les questions de nutrition, explique en quoi cette prétendue fatalité est un mensonge. La faim n’est plus comme autrefois la conséquence d’une insuffisance de production alimentaire, mais un drame consenti par tous les parlements dans l’ordre économique contemporain. L’essai brillant et simple que Ziegler publie aujourd’hui restera comme un cours de vérités publiques. Nous nous sommes entretenus avec lui.
[…] Vous analysez longuement le rôle des fonds vautours dans l’horreur économique mondiale. On observe que beaucoup de gens n’en ont pas entendu parler, ou très vaguement.}}}
De nombreux États, surtout du tiers-monde, sont écrasés par leurs dettes extérieures. Afin d’échapper à leur insolvabilité, ils doivent périodiquement négocier avec leurs créanciers une réduction de ces dettes.
[…] Les propriétaires des fonds vautours sont parmi les plus terribles prédateurs du système capitaliste. Ils tuent.
Vous donnez l’exemple du Malawi ? Que s’est-il passé ?}}}
Ce petit pays agricole d’Afrique australe est périodiquement ravagé par des famines dues, pour la plupart, à des sécheresses prolongées. Comme d’autres États dans cette situation à risques, le Malawi entretient un fond de réserve. Concrètement : un stock de 40.000 tonnes de maïs, la nourriture habituelle du pays, financé par l’argent public. Un fonds vautour a mis à genou le gouvernement du Malawi en le forçant à vendre sur le marché mondial son stock de réserve pour pouvoir le payer. En 2002, une famine meurtrière a frappé. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont péri. Le gouvernement ne disposait plus d’aucune réserve alimentaire et l’aide internationale était insuffisante…
Par quelle magie noire est-il devenu légal de gagner de l’argent en organisant la famine dans un pays pauvre ? }}}
Les prédateurs se réclament du « libre marché ». Selon eux, ce sont les « forces du marché » qui dictent leur conduite. Les morts de faim ne seraient donc que des dommages collatéraux, parfois, hélas, inévitables. Je peux citer le cas de Michael F. Sheehan – appelé Goldfinger par ses collègues de la City de Londres, propriétaire du Donegal International Fund domicilié aux Îles Vierges – qui, parlant de la Zambie, s’est donné le luxe de « regretter » publiquement les dommages économiques infligé par son action. Lire la suite.