Pourquoi la NSA joue au pirate des Caraïbes aux Bahamas
France 24 / Dernière modification : 21/05/2014
L’archipel fait partie des deux pays dont l’intégralité des conversations téléphoniques est enregistrée par la NSA, d’après de nouvelles révélations. Plusieurs hypothèses sont avancées sur les raisons d’une telle opération visant les Bahamas.
Tempête dans un paradis fiscal. Les Bahamas ont acquis, lundi 19 mai, une nouvelle réputation : celle d’être particulièrement prisés par les grandes oreilles de la NSA. Il s’agit en effet du seul pays, connu du grand public à ce jour, où les espions américains “captent, enregistrent et archivent” l’intégralité des communications par téléphone portable, d’après des nouvelles informations de l’ex-consultant de la NSA Edward Snowden publiées sur le site "The Intercept". Les documents de l’agence américaine font également référence à un autre État, dont "The Intercept" n’a pas souhaité révéler le nom pour des raisons de sécurité.
La capacité d’interception des données téléphoniques par la NSA est connue depuis le début des révélations de Snowden en juin 2013. Mais les programmes secrets rendus publics jusqu’à présent évoquaient la captation des métadonnées (numéro de téléphone, localisation GPS de l’appel etc.). L’opération au Bahamas, baptisée Somalget, démontre concrètement que les cyber-espions américains ont ajouté à leur liste le contenu des conversations.
Le petit archipel de la mer des Caraïbes n’en demandait pas tant. Pourquoi les agents de la NSA ont-il déployé des trésors de savoir-faire technologique pour mettre tout le pays sur écoute étroite sans en informer les autorités nationales ? Les documents publiés par “The Intercept” ne l’expliquent pas et le site ne s’attarde pas sur les motivations américaines.
La proximité avec les États-Unis et les douceurs fiscales de l’archipel sont les raisons les plus souvent invoquées. Plusieurs millions d’étrangers s’y rendent tous les ans et la NSA pourrait être intéressée par d’éventuels cas de blanchiment d’argent du crime organisé. Les Bahamas sont connus pour être une plaque tournante majeure du trafic de drogue et des flux financiers générés par cette activité.
“The Intercept” laisse par ailleurs entendre que l’État insulaire ne représenterait qu’un test grandeur nature. De par sa petite superficie (13 900 km2), sa population modeste (372 000 habitants), l’archipel permettrait de mesurer l’efficacité du dipositif. Un passage des documents de la NSA, retranscrit dans l’article, affirme ainsi “qu’avec une bonne coordination, il n’y a pas de raison particulière qui s’oppose à ce que le dispositif [Somalget] ne soit pas étendu à d’autres [territoires]”.
Sur la piste des Shebab somaliens
Mais il y a aussi une autre raison, davantage liée à la lutte contre le terrorisme, qui pourrait expliquer l’intérêt des Bahamas aux yeux de la NSA. Pour Alain Charret, spécialiste de guerre électronique et auteur de “La guerre secrète des écoutes”, il existe, en effet, des connexions entre l’archipel et les Shebab, le groupe fondamentaliste islamiste somalien. Dans cette hypothèse, la proximité entre le pays qui héberge ce mouvement terroriste et le nom de code de l’opération Somalget ne serait pas une coïncidence.
Alain Charret rappelle qu’un site internet de recrutement pour les Shebab somaliens était hébergé, jusqu’en 2010, à Nassau, la capitale des Bahamas. Le réseau international de veille du terrorisme Ultrascan indique également que les Bahamas “sont un lieu possible de financement illégal de Boko Haram et/ou des Shebab”. Contacté par FRANCE 24, Ultrascan précise qu’entre mars 2009 et septembre 2011 “une partie de l’argent gagné par un groupe soutenant les Shebab somaliens grâce à un système de fraude à la carte de crédit a été blanchi via les Bahamas”.
En outre, le dispositif Somalget fait partie d’une plus vaste opération, baptisée Mystic, qui consiste à collecter des données téléphoniques (exclusivement les métadatas) de trois autres pays : le Mexique, les Philippines et le Kenya. Ces deux derniers pays sont directement concernés par la lutte contre le terrorisme. “Le Kenya est connu pour participer à l’effort de lutte contre les Shebab”, rappelle Alain Charret. Le mouvement somalien s’est d’ailleurs illustré en 2013 par la meurtrière attaque contre le centre commercial “Westgate Mall” de Nairobi.
Mais ces suspicions de connexions avec les Shebab sont-elles suffisantes pour enregistrer toutes les conversations téléphoniques d’un pays ? Plusieurs spécialistes des mouvements terroristes en Afrique, contactés par FRANCE 24, ont reconnu ne pas avoir connaissance de faits notables qui feraient des Bahamas le petit paradis (fiscal) incontournable pour les Shebab somaliens.
Première publication : 20/05/2014