Chronique auteur
Julien Bouissou Publié aujourd’hui à 09h00
A partir du 1er janvier 2024, les compagnies maritimes commenceront à payer une taxe carbone en fonction de leurs émissions, calculées sur les trajets de leurs navires à l’arrivée et au départ des ports européens. D’apparence anodine, cette intégration à un système de quotas de CO₂, imposée par Bruxelles, constitue une vraie révolution.
C’est d’abord la première réglementation contraignante en matière de lutte contre le changement climatique dans un secteur qui n’est toujours pas aligné sur l’objectif principal de l’accord de Paris, à savoir une limitation du réchauffement des températures à 1,5 °C, et qui préfère prendre des engagements sur la base du volontariat.
C’est surtout une mesure inhabituelle pour une industrie qui n’a pas l’habitude de payer des taxes. Celle-ci échappe en effet à l’impôt sur les sociétés, aux cotisations patronales sur les salaires des marins et aux taxes sur le fioul. Son seul impôt est calculé sur la base du tonnage, c’est-à-dire la capacité de transport, et il dépasse rarement les 2 % du chiffre d’affaires. Un régime fiscal d’exception mis en place pour répondre à la concurrence des pavillons de complaisance et des paradis fiscaux dans les années 1970.
Est-il encore justifié aujourd’hui ? Selon les calculs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il représente un manque à gagner d’au moins 3 milliards d’euros par an pour ses Etats membres. En 2022, année exceptionnelle pour l’armateur CMA CGM, il aurait même atteint les 5 milliards d’euros pour l’Hexagone. Pour quels bénéfices ? L’armateur français met en avant les 2 900 employés qui travaillent à son siège à Marseille, le plaçant au rang de premier employeur privé de la ville.
Craintes de concurrence déloyale
Mais cela ne l’empêche pas de recruter une part importante de ses 150 000 employés, particulièrement les membres d’équipage, dans des pays à bas coût comme l’Inde ou les Philippines, ni d’enregistrer la quasi-totalité de sa flotte dans des pavillons de complaisance. Sur ses 600 navires, CMA CGM n’en a enregistré qu’une trentaine en France. A l’heure où les compagnies maritimes se déploient dans le secteur de la logistique, ce régime d’exception alimente aussi les craintes de concurrence déloyale. Certes, elles paient un impôt normal sur leurs activités de logistique terrestre ou de déchargement dans les ports, mais lorsqu’elles facturent à leur client un prix d’ensemble, elles pourraient être tentées de gonfler les coûts liés à la partie transport maritime afin de payer le moins d’impôts possible. Lire la suite.