Bombardement de Bouaké : le rôle trouble de Robert Montoya, marchand d’armes

Mercredi 9 août 2017

Bombardement de Bouaké : le rôle trouble de Robert Montoya, marchand d’armes

Publié le 04 août 2017 à 16h31 Par Mathieu Olivier et Vincent Duhem

Ce marchand d’armes établi au Togo est à l’origine de la vente des avions qui ont attaqué le camp français de Bouaké. Robert Montoya est également soupçonné d’avoir facilité la fuite des pilotes biélorusses après l’assaut.

« Son nom me dit quelque chose, mais dans la Françafrique de Mitterrand, et non pas de Chirac. […] Il s’est installé en Afrique, car personne ne voulait travailler avec lui en France. » Quand Michel de Bonnecorse, conseiller Afrique de Jacques Chirac, évoque le nom de Robert Montoya devant la juge chargée de son audition en avril 2015, il n’ose le faire que du bout des lèvres.

Dans le milieu des marchands d’armes, ce personnage secret au crâne dégarni, qui arbore souvent un petit sourire en coin, n’est pas connu pour être un gros bonnet. C’est pourtant lui, intermédiaire entre la Biélorussie et la Côte d’Ivoire, qui a fourni les deux Sukhoi 25, responsables du bombardement du camp Descartes à Bouaké le 6 novembre 2004, ayant entraîné la mort de dix personnes et blessé trente-huit autres.

Le parcours de cet adjudant, retraité de la gendarmerie française et du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), né le 11 octobre 1948 à Sidi Bel Abbès, en Algérie, oscille entre ombre et lumière. Fonctionnaire du GSPR, il se retrouve impliqué, au cours des années 1980, dans la fameuse affaire dite des écoutes téléphoniques de l’Élysée. Exilé au Togo en 1993, il n’en abandonne pas pour autant ses pratiques.

[…] Fin 2002, Robert Montoya offre ses services à Laurent Gbagbo

Il utilise alors trois sociétés : Gypaele, Darkwood Logistics et Darkwood Limited, toutes liées ensuite à RM Holdings, enregistrée à Riga, en Lettonie, le 18 juillet 2003, et dont l’épouse de Montoya assurait officiellement la présidence. Il s’est également associé à un autre Français, Daniel Taburiaux. Conseiller en sécurité du président Gbagbo, ce colonel à la retraite de la marine française dirige à l’époque la société française Sofrecap, qui dispose d’une représentation à Abidjan dénommée Stonedbury.

Montoya parvient à se rapprocher du chef de l’État, mais aussi de son épouse, Simone, et du pasteur Moïse Koré, conseiller spirituel du couple. Il bénéficie en outre du soutien de Kadet Bertin Gahié, à l’époque ministre de la Défense par intérim et considéré comme le principal acteur ivoirien dans l’achat d’armes. Entre eux, une connaissance commune : Christian Garnier, ancien officier de l’armée et ancien de la DGSE passé dans la vente d’armes. Garnier aurait, selon la DGSE, travaillé avec Kadet Bertin Gahié.

Enfin, Robert Montoya entretient également des relations avec le capitaine Anselme Séka Yapo, aide de camp de Simone Gbagbo. Ce dernier a d’ailleurs reçu à plusieurs reprises des virements de la part de Darkwood Limited. En janvier 2003, Robert Montoya se retrouve donc détenteur d’un passeport diplomatique ivoirien en qualité de conseiller spécial du président de la République chargé des affaires militaires et diplomatiques.

Blanchiment d’argent

Chaque fois, ces livraisons sont accompagnées de la mise à disposition de personnels d’origine slave chargés de mettre en œuvre, d’entretenir et de former les militaires ivoiriens sur le matériel. La DGSE, attentive à toutes ces ventes d’armes, observe également de près les activités de l’ancien gendarme de l’Élysée à Riga. Le Service de coopération technique internationale de police écrit, via son attaché de sécurité intérieure adjoint en Lettonie, le 16 novembre 2004, au sujet de la prise d’actions, cette année-là, de RM Holdings dans la Parex Banka, la plus grande banque lettone : « L’ancien gendarme du GSPR a désormais un pied fermement ancré au sein du système bancaire et financier letton, européen et international. »

« Cela pourrait lui permettre le cas échéant de blanchir, pratiquement en toute impunité, des capitaux d’origine suspecte – trafic d’animaux et ventes d’armes. Quand on sait l’appétit de certaines organisations criminelles pour “se payer une banque”, l’on ne peut qu’être davantage inquiet, même en se gardant de porter un jugement de valeur sur les activités commerciales des sociétés dirigées par Robert Montoya. »

Et de conclure : « En effet, s’il ne semble pas s’agir, a priori, d’organisations criminelles, il n’en demeure pas moins que certaines activités de ce groupe commercial semblent pour le moins suspectes, voire à la limite de la légalité. » Quelques jours après le bombardement de Bouaké, le renseignement français réunit donc des informations sur les activités « pour le moins suspectes » de Robert Montoya.

Auditionné par la juge Brigitte Raynaud en 2006, ce dernier décline toute responsabilité dans le bombardement de Bouaké et assure que ses activités étaient légales. Pourtant, selon les services français, le sulfureux Montoya a bien joué un rôle dans l’exfiltration des pilotes. Le 16 novembre, quand ces derniers débarquent à Lomé en compagnie de six autres Biélorusses et de deux Ivoiriens, c’est la secrétaire de Montoya, Gallyna Nesterenko, une femme d’origine biélorusse mariée à un Togolais et servant d’interprète, qui était chargée de les accueillir à la frontière togolaise. Lire la suite.

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