Casse-tête juridique autour du cargo chauffard
Le commandant de l’« Ocean Jasper », navire immatriculé dans le Pacifique qui a heurté un bateau breton, pourrait échapper à la justice française.
illustration : Reproduction d’une photo non datée prise à Plouescat du caseyeur « Sokalique » qui a sombré au large d’Ouessant le vendredi 17 aoüt 2007. Le Duff/AFP
Par Renaud lecadre (avec AFP)
QUOTIDIEN : lundi 20 août 2007
Le naufrage du Sokalique (20 mètres), bateau de pêche breton qui a coulé dans la nuit de jeudi à vendredi au large d’Ouessant, suite à une probable collision avec l’ Ocean Jasper (80 mètres), cargo cosmopolite, pourrait tourner à l’imbroglio diplomatico-judiciaire. Samedi, le procureur de la République de Morlaix a souligné le risque de dessaisissement. La collision ayant eu lieu dans les eaux internationales, la justice française n’est théoriquement pas compétente, seul le pays où est immatriculé le navire pouvant engager des poursuites (1). L’ Ocean Jasper est un concentré des dérives de la mondialisation maritime : équipage originaire d’Azerbaïdjan, affrété par un armateur turc, possédé par une société basée aux îles Marschall, immatriculé aux îles Kiribati… En droit pur, s’il existe, c’est donc à cet archipel du Pacifique (lire ci-contre) que reviendrait l’honneur de diligenter l’enquête.
Lettre à Sarkozy. « Des contacts sont en cours par voie diplomatique, indique le procureur de Morlaix. Si les îles Kiribati abandonnent les poursuites en faveur de la France, je peux aller plus loin et faire juger les responsables devant la justice française. » Hier, la fédération CGT des marins a rédigé une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy : « Ne laissez pas ces voyous des mers, ni leurs avocats se réfugier derrière des textes d’un autre temps qui les protégeraient et leur permettraient de continuer à tuer d’autres marins sans être importunés. Vous devez exiger de l’Etat du pavillon que le capitaine et son second qui assurait la veille lors de l’abordage soient emprisonnés et jugés en France. »
Signe de bonne volonté ? L’ Ocean Jasper a accepté de s’amarrer sur la base navale de Brest, où les gendarmes maritimes français ont pu constater, sur son côté tribord, « des traces de peinture verte qui paraissent correspondre à la couleur de la coque » du Sokalique. Des prélèvements sont en cours. Son commandant azéri a admis avoir été « impliqué dans une collusion ». Son second, présent sur la passerelle au moment du choc, a également consigné l’événement sur son journal de bord.
Quelles que soient les circonstances d’une collision, le droit maritime affirme la priorité d’un bateau de pêche en face d’un cargo. L’ Ocean Jasper pourrait être poursuivi derechef pour délit de fuite. Son attitude au moment du naufrage du Sokalique, restant bizarrement sur zone sans pour autant lui porter secours, avait déjà interloqué.
Point d’honneur. Samedi dans Libération, témoignait l’un des sept survivants du Sokalique - seul son capitaine mettant un point d’honneur à quitter le navire en dernier, a péri sous les flots : « Ça fout vraiment les boules de voir qu’un cargo ne bouge pas, alors qu’on est en train de couler. Il s’est cassé alors qu’il avait les moyens de nous secourir. Bien sûr, on n’a pas réussi à voir son nom. »
Le cargo reste immobilisé dans le port de Brest, pour l’instant au seul prétexte de réparations. Inspecté en janvier, lors d’une escale en Grèce, dix-huit déficiences (dont six sur des équipements de sécurité et trois sur le système radio) avaient été relevées, nécessitant deux jours de travaux à quai. En juillet, une inspection belge n’avait rien remarqué.
(1) Selon la convention internationale de Montego Bay.
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