Le Delaware, paradis fiscal aux États-Unis ?

Jeudi 11 septembre 2014

Le Delaware, paradis fiscal aux États-Unis ?

AFP 10-09-2014 | 16h32

WASHINGTON - C’est un petit État américain qui compte plus d’entreprises que d’habitants et dont le goût pour le secret lui vaut la réputation d’être un paradis fiscal : le Delaware fait face à une pression accrue aux États-Unis pour ses pratiques.

Près des deux tiers des 500 plus gros groupes américains (Google, Coca-Cola, WalMart…) sont enregistrés dans ce petit État de la côte Atlantique où ils ne disposent parfois que d’une simple boîte aux lettres— afin de bénéficier d’un climat doux pour les entreprises et d’une des juridictions commerciales les plus performantes du pays.

Mais le Delaware a aussi une face plus sombre : il autorise la création, en quelques minutes et pour quelques centaines de dollars, de sociétés sans exiger que le nom de leur bénéficiaire réel ne soit identifié. En clair, des sociétés anonymes garantissant un secret quasi-total à ses propriétaires.

« La plupart des entreprises utilisent le système pour faire de bonnes choses mais d’autres ont des motivations cachées », assure à l’AFP un élu démocrate du Delaware, John Kowalko, déplorant qu’il faille « plus de documents pour s’inscrire à la bibliothèque » que pour créer une société.

Le célèbre trafiquant d’armes russe, Viktor Bout, surnommé le « marchand de mort », avait créé plusieurs sociétés-écrans au Delaware pour effacer ses traces tout comme l’ex-lobbyiste américain Jack Abramoff condamné en 2006 à près de six ans de prison pour corruption. Des escrocs à l’assurance-maladie ont suivi la même voie.

« Les sociétés anonymes sont le dénominateur commun des délinquants financiers qui les utilisent pour déplacer des fonds issus de la corruption, de l’évasion fiscale ou du trafic du drogue ou des escroqueries », résume à l’AFP Stefanie Ostfeld, de l’ONG anti-corruption Global Witness.

Les autorités tentant de traquer l’argent sale finissent ainsi par se heurter à un mur infranchissable.

« Quand nous avions des requêtes des pays étrangers, on ne pouvait rien faire dès qu’une société écran basée aux Etats-Unis était impliquée », assure à l’AFP John Cassara, ancien enquêteur de l’unité du Trésor américain anti-délits financiers.

« Nous ne prenions même pas la peine de faire des démarches car c’était une perte de temps », ajoute-t-il.

Vent de changement

Un léger vent de changement commence toutefois à se lever aux Etats-Unis au moment où les grandes puissances, remontées contre l’évasion fiscale, exigent la transparence sur la propriété effective des entreprises.

Le projet de budget 2015 de l’administration Obama s’est penché sur la question et une proposition de loi bipartisane est déposée à intervalles réguliers au Congrès des Etats-Unis pour mettre fin à cette pratique.

« Les États-Unis sont actuellement un des pays au monde qui viole le plus les règles dans le domaine de la création d’entreprises anonymes », selon un des auteurs du texte, le sénateur démocrate Carl Levin.

Fait nouveau cette année, cette proposition de loi a récemment reçu le soutien de 31 élus du Delaware qui ont appelé, dans une lettre commune, à s’assurer que les autorités fédérales soient suffisamment équipées pour enquêter sur les délits financiers.

« On ne demande pas au entreprises de divulguer des secrets commerciaux ou des brevets. On leur demande juste de dire qui sont leurs propriétaires », explique M. Kowalko, un des signataires de cette lettre, qui appelle à créer un registre national des entreprises.

Les milieux d’affaires américains restent discrets sur le sujet, laissant les autorités du Delaware défendre leur réputation et… préserver les revenus qu’elles tirent des frais d’immatriculations des sociétés.

« Tour le monde veut soutenir les efforts des forces de l’ordre pour lutter contre les crimes financiers. La question est de savoir comment on y parvient », dit à l’AFP Richard Geisenberger, secrétaire général adjoint (chief deputy Secretary of State) du Delaware, assurant que la solution doit être trouvée au niveau fédéral.

Surtout, ce responsable estime que l’immatriculation des sociétés n’est pas elle-même en cause et que l’accent doit être mis sur le contrôle exercé par les institutions financières.

« Le simple fait d’enregistrer une société n’implique pas de faire circuler de l’argent. Le meilleur moyen de combattre le blanchiment d’argent est en réalité d’exiger des personnes qui voient circuler les dollars qu’elles sachent avec qui elles font affaire », plaide-t-il.​

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