Les Mafias italiennes gagnent à l’usure
Par Thomas Saintourens
Publié aujourd’hui à 03h04, mis à jour à 11h21
Enquête Les organisations criminelles ont profité de la crise sanitaire pour étendre leur emprise sur les entreprises et particuliers en difficulté, en se substituant aux banques pour proposer des prêts qu’ils se feront rembourser avec des intérêts pouvant atteindre 1 000 %.
La technique d’approche est amicale. Un bras réconfortant passé autour de l’épaule, des billets glissés au creux de la main, un message téléphonique : « Tu sais que tu peux compter sur nous. » La victime est consentante. Etranglée par les dettes, elle voit comme un bienfaiteur ce généreux visiteur. Dans quelques mois, l’usurier repassera réclamer son dû – gonflé d’intérêts annuels pouvant atteindre 1 000 % – sous la menace d’une arme si le besoin s’en fait sentir.
Depuis l’apparition du Covid-19 en Italie, en février, ces « bons Samaritains », rouages essentiels des Mafias, squattent les arrière-boutiques et les places de village. « Les usuriers ne sont jamais aussi actifs que durant les périodes de crise, telles que les récessions économiques ou les catastrophes naturelles, constate la procureure Alessandra Dolci, à la tête de la direction antimafia de Milan. Celle du Covid-19 constitue, pour le crime organisé, une occasion unique de renforcer son pouvoir. » Dans sa juridiction, en plein cœur de cette Italie prospère qui fut aussi la plus durement touchée par la pandémie, la magistrate a constaté que les « cols blancs » de la ’Ndrangheta, la puissante Mafia calabraise, furent les premiers à proposer de l’argent frais – des prêts pouvant atteindre 300 000 euros – aux entrepreneurs au bord de la banqueroute.
Qu’ils soient calabrais ou pas, ces « protecteurs » font du cousu main. Du nord au sud de la Péninsule, ils s’adaptent aux besoins et savent se rendre indispensables. Ainsi, à Palerme (Sicile), dans le quartier périphérique du Zen, le frère d’un boss emprisonné a été aperçu, début avril, en train d’organiser la distribution de paniers de victuailles aux familles les plus pauvres. Une largesse loin d’être désintéressée : les bénéficiaires de cette aide alimentaire sont désormais redevables à la famille du donateur.
D’après le ministère de l’intérieur italien, l’usure est la seule activité criminelle à avoir connu une hausse durant la pandémie, avec + 9,6 % relevés fin mars. Des figures a Lire la suite.