Les jeux sont faits
« J’ai des amis corses, et alors ? Ce n’est pas un délit. » Cette confidence émouvante de Charles Pasqua traduit notamment l’affection particulière que l’ancien ministre d’Etat avait pour Robert Felicciagi, abattu de deux balles dans la nuque dans la nuit du vendredi 10 au samedi 11 mars sur le parking de l’aéroport proche d’Ajaccio…
Fils de petits fonctionnaires corses expatriés au Congo devenu un « empereur » des jeux, « Robert l’africain », ou encore « Bob l’Africain », comme le surnommaient ses amis, aurait pu jouer au cinéma les parrains : de lourdes paupières, des lèvres épaisses et un visage figé. Son impassibilité était traversée parfois d’une lueur vive, baptisée en Corse « le vice du berger » ou encore « le vice du renard ».
Avec son associé Michel Tomi, bob avait mis le grappin sur les casinos et les PMU de plusieurs pays africains, le Gabon et le Congo, le Cameroun, le Mali et le Bénin… Son fils reste l’heureux patron du casino de Brazaville, où la famille Feliciaggi a toujours entretenu les meilleures relations avec le régime de Sassou Nguesso. Lequel a dépêché son oncle et directeur de cabinet à l’enterrement de Robert, qui a eu lieu dans son île lundi 13 mars.
Ces dernières années, Bob s’était refait une respectabilité en Corse. Il avait lancé l’antenne locale du RPF de son ami Charles… sans grand succès… Maire de Pila-Canale (Corse su sud), le fief du mystérieux et redouté Jean-Jé Colonna, un ancien de la French Connection, Bob l’Africain était devenu l’élu divers-droite de l’Assemblée de Corse.
Hélas ce retour sur l’île ne lui donnait pas toute satisfaction… il a dû affronter des poursuites judiciaires à Monaco et à Paris, pour les conditions dans lesquelles il s’était vu concéder par Pasqua un casino à Annemasse ; surtout, il s’était brouillé avec son compère Michel Tomi.
La mise en coupe réglée de l’immobilier corse par la bande de la Brise de mer venue de Haute-Corse ne laissait que des miettes. Sans parler de ses revenu en Côte d’Ivoire, où la redoutée Simone Gbagbo est en affaires avec d’autres Corses, propriétaires du café de Rome à Dakar…
« Alors, monsieur Feliciaggi, tout va bien ? », lui demandait, cet automne, un journaliste de passage en Corse. « On n’a que des emmerdes ici, lui répondit Bob, on n’aurait jamais dû partir d’Afrique. »
Apparemment, la tragédie de la semaine dernière lui a donné définitivement raison…
Le Canard Enchaîné du mercredi 15 mars 2006 (page 8).
Publié avec l’aimable autorisation du Canard Enchaîné.
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