Agence France-Presse 12 mars 2025 à 18h57
Audience surréaliste mercredi en banlieue de Paris : la justice française devait statuer sur une amende de 150 euros réclamée à une opposante ouïghoure, pour dégradations à l’encontre de l’ambassade de Chine, elle même accusée de harcèlement contre l’intéressée.
Le tribunal d’Evry a renvoyé l’affaire au 13 octobre, au grand dam de l’opposante. « J’espérais être libérée de cette pression psychologique, que je vais subir encore huit mois », a déclaré, au bord des larmes, Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut ouïghoure d’Europe (IODE), à l’AFP.
Mme Reyhan, 41 ans, est poursuivie pour avoir jeté de la peinture rouge sur un kakémono de l’ambassade de Chine, pour en dénoncer la présence lors d’une fête organisée par le quotidien communiste l’Humanité le 11 septembre 2022.
Les Ouïghours représentent le principal groupe ethnique du Xinjiang (nord-ouest de la Chine). Depuis 2017, plus d’un million de Ouïghours ou de membres d’autres groupes ethniques, principalement musulmans comme eux, ont été internés dans des « camps » de « rééducation » où les violations des droits de l’Homme sont nombreuses, selon des études et des ONG occidentales.
La Chine présente une partie de ces infrastructures comme des « centres de formation professionnelle ».
Après le jet de peinture, l’ambassade de Chine avait déposé une plainte contre Mme Reyhan, classée sans suite. Mais en mars 2024, le parquet avait ordonné à la chercheuse en sciences sociales de payer une amende de 150 euros pour « dégradations graves » - le kakemono et des frais de teinturier pour trois diplomates chinois.
- « Muraille de Chine » -
Dilnur Reyhan, arrivée en France en 2004 et citoyenne française depuis 2015, a depuis contesté cette décision et la justice devait clore cette affaire une fois pour toutes. Mais l’absence de l’ambassade de Chine, et de son avocat Me Philippe Fontana, a plongé l’audience dans la confusion.
« Me Fontana est peut-être bloqué dans un embouteillage ? », a tenté le président du tribunal. « Il n’est bloqué nulle part, sinon sur la Muraille de Chine ou la Cité interdite », a cinglé Me William Bourdon, représentant Mme Reyhan.
Après plusieurs interruptions de séance, le président a annoncé le report du dossier, pour « qu’on ne nous dise pas que nous avons agi en catimini ». Ceci contre l’avis du procureur, pour qui au contraire « cet entredeux (judiciaire) n’était pas soutenable ».
Joint plus tard par téléphone par l’AFP, Me Fontana a justifié son absence « par le souci de (son) client de ne pas interférer avec le cours de la justice ».
Mais l’avocat ne s’est pas avancé sur sa présence à l’audience du 13 octobre, indiquant attendre les consignes de l’ambassade, qui n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP par téléphone et courriel.
Les sympathisants de la cause ouïghoure dénoncent pour leur part un « harcèlement permanent ».
« Cette procédure participe d’une guerre des récits sur ce que sont les persécutions contre la population ouïghoure et sur l’image qu’on se fait de la Chine en Europe », estime l’universitaire Jérôme Heurtaux, membre de l’Observatoire des atteintes aux libertés académiques (OALA).
- Services secrets -
L’autre figure de la diaspora ouïghoure en France, Gulbahar Jalilova, « rescapée des camps » du Xinjiang selon ses partisans, vient de passer six mois en hôpital psychiatrique après ce que ses proches décrivent comme « une tentative d’enlèvement » le 8 mai dernier.
Le quotidien français Le Monde avait fait état de notes de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, contre-espionnage) « qui révèlent la présence de fonctionnaires appartenant aux services chinois lors (…) d’une "action d’intimidation" avortée, le 8 mai, à l’encontre d’une réfugiée politique d’origine ouïghoure ».
Cet incident serait en partie à l’origine d’une discrète demande de Paris pour obtenir le départ du sol français du chef de poste des services secrets chinois et de son adjoint, basés à l’ambassade de Chine, selon Le Monde. L’ambassade de Chine en France avait fustigé la « narration truffée d’erreurs » du quotidien.
L’IODE a répliqué en annonçant lundi le dépôt d’une nouvelle plainte contre X visant la « répression » contre la diaspora ouïghoure en France.
La justice n’avait pas donné suite à une première plainte, selon l’association. Celle de lundi est assortie cette fois d’une constitution de partie civile, rendant automatique l’ouverture d’une information judiciaire.
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