La justice s’invite à Bercy

Mardi 8 mai 2007

La justice s’invite à Bercy

Affaire Rhodia

Thierry Breton, le ministre de l’Economie, a-t-il été négligent quand il était patron ? La justice enquête.

Laurent léger (avec Christophe Deloire)

Edouard Stern, le banquier assassiné à Genève le 28 février, se rappelle au bon souvenir des vivants. Le juge Henri Pons a lancé les 27 et 28 juin une spectaculaire série de perquisitions autour de l’affaire Rhodia et de l’affaire Canal + Technologies. Le lien entre ces deux dossiers ? Deux hommes : Thierry Breton, le ministre de l’Economie, et Jean-René Fourtou, le président de Vivendi Universal, qui se tutoient et se connaissent depuis fort longtemps. Leurs domiciles ont été perquisitionnés. Le juge, ne reculant devant rien, a même investi, à Bercy, le bureau du ministre et de ses collaborateurs. Une première dans l’histoire de la Ve République. Des perquisitions ont également été effectuées au siège de Rhodia et de Canal + et aux domiciles de plusieurs dirigeants.

L’objectif est de faire la lumière sur deux affaires qui défraient la chronique depuis plusieurs mois. Dans le cas Rhodia, entreprise créée en 1998 à partir d’une scission de Rhône-Poulenc, présidé alors par Fourtou, il s’agit de déterminer si des fautes graves de gestion et des dissimulations comptables sont à l’origine de la quasi-faillite du groupe chimique. Fourtou et Breton ont été administrateurs de Rhodia respectivement de février 1998 à juillet 2002 et d’avril 1998 à septembre 2002. En plus de son mandat d’administrateur, le ministre de l’Economie était président du comité d’audit de Rhodia, un poste éminent.

Dans le cas de Canal + Technologies, il s’agit de savoir pourquoi Vivendi Universal, dirigé par Fourtou, a vendu en septembre 2002 cette entreprise à Thomson Multimedia, que dirigeait encore Breton - ce dernier abandonne son poste de Pdg le 2 octobre, date à laquelle il devient tout de même administrateur et président du comité stratégique. Quelques mois plus tard, à l’été 2003, Thomson recède Canal + Technologies avec une plus-value de 112 millions d’euros. La question qui se pose est de savoir pourquoi Fourtou a « refilé » la plus-value à Thomson. Edouard Stern, actionnaire de Vivendi et qui poursuit Fourtou de sa vindicte, porte plainte. Il entame une action « ut singuli », qui vise à défendre les intérêts de l’entreprise face à des dirigeants, selon lui, défaillants. Côté Vivendi, on plaide que les offres sur Canal + Technologies n’étaient pas légion. Côté Thomson Multimedia, on affirme que la différence entre le prix d’achat à Vivendi et le prix de vente à Murdoch et au Suisse Kudelski vient du fait que des brevets et des marchés (avec Direct TV, premier bouquet satellite américain) ont, au passage, été ajoutés au « paquet » de Canal + Technologies. Le juge entend donc sur ce point se faire une conviction.

Comme il veut s’en forger une sur Rhodia, affaire pour laquelle Edouard Stern et son allié Hugues de Lasteyrie ont déposé une série de plaintes. Que cherchait le juge à Bercy ? La preuve, pensait-on, que Breton a intimé à son directeur du Trésor, Xavier Musca, l’ordre de déposer plainte pour « chantage » contre le financier Hugues de Lasteyrie, qui l’aurait menacé de lancer une campagne de presse pour déstabiliser le ministre. Mauvaise pioche : Le Point est en mesure de révéler que la justice a classé cette affaire de supposé chantage la semaine précédant la perquisition à Bercy.

Pistes plus vraisemblables : la justice voudrait d’abord vérifier si, dans le rapport de l’AMF, de mars, rédigé avant que Breton ne soit ministre, ont été supprimés les griefs qui l’auraient concerné - Arnaud Montebourg, le bouillant socialiste qui suit de près l’affaire, pointe déjà haut et fort la contradiction ; la justice voudrait aussi et surtout réunir des pièces sur l’ensemble de l’affaire. Rhodia s’est révélé un véritable fiasco industriel. On en connaît maintenant les raisons. Ses dirigeants, Jean-Pierre Tirouflet en tête, ont très largement sous-évalué les risques environnementaux et les montants à verser pour les retraites. Ils ont triché sur les crédits d’impôts. Ils ont effectué des acquisitions désastreuses (ChiRex) et parfois dans des conditions litigieuses (Albright & Wilson).

Toutes ces raisons n’ont pas grand-chose à voir avec des erreurs de gestion ou de stratégie. La justice veut établir s’il y a eu malversations. Pour sa défense, Thierry Breton ne s’est exprimé qu’une seule fois, dans Le Monde : « Durant cette période, rien de ce que j’ai su ne m’a choqué ni n’a froissé mon éthique. » Deux gros cabinets d’avocats parisiens, Bredin-Prat et Weil-Gotshal, le représentent. Sa défense : il n’avait pas connaissance de tout. Manière de se défausser sur d’autres, y compris sur son ami… Fourtou

© le point 30/06/05 - N°1711 - Page 36 - 725 mots

Publié avec l’aimable autorisation du magazine le Point.

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