Evasion fiscale Luxembourg
« LuxLetters » : la nouvelle astuce pour contourner la transparence fiscale au Luxembourg
« Le Monde » et plusieurs médias européens révèlent comment certains cabinets fiscalistes du Grand-Duché s’arrangent pour contourner discrètement les nouvelles règles de l’UE contre les abus fiscaux.
Par Maxime Vaudano, Jérémie Baruch et Anne Michel
Publié hier à 19h01, mis à jour hier à 19h27
Sur le papier, le Luxembourg n’a plus rien d’un paradis fiscal opaque. Il est devenu exemplaire, en mettant fin aux excès mis au jour par les « LuxLeaks » – une enquête internationale qui a révélé, en 2014, l’existence d’accords fiscaux à taux zéro accordés par centaines aux multinationales durant des décennies. Ces accords (appelés « rulings », ou « rescrits ») ont chuté de 90 %, avec seulement 44 rescrits signés en 2020. Dès lors qu’ils étaient susceptibles de léser fiscalement un autre Etat européen, ils ont été transmis à ce dernier, conformément aux règles européennes. Sur le papier, donc, le Luxembourg est irréprochable.
L’enquête « LuxLetters », conduite par Le Monde, Süddeutsche Zeitung, El Mundo, Woxx et IrpiMedia, avec les ONG Tax Justice Network (TJN) et The Signals Network, vient cependant interroger la réalité de cet effort de transparence. Selon des témoignages concordants recueillis sous le couvert de l’anonymat, des conseillers fiscaux travaillant pour de grands cabinets installés au Luxembourg ont en effet trouvé le moyen de contourner la réglementation européenne sur l’échange de rescrits, sans que les autorités du Luxembourg y trouvent à redire.
Des « lettres d’information » détournées de leur objet
Leur astuce prend la forme d’un courrier par lequel un fiscaliste informe l’administration luxembourgeoise du traitement fiscal avantageux dont entend bénéficier son client (une entreprise ou un fonds d’investissement), et pour lequel le silence des autorités vaudrait approbation. Sur la place luxembourgeoise, ces courriers sont désignés sous le nom de « lettres d’information ». Un terme passe-partout qui, au Luxembourg, prend une signification toute particulière.
Inaugurées autour de 2015 pour combler le vide créé par la fin des rescrits d’ancienne génération, ces lettres devaient permettre de tester l’administration fiscale sur la nature des schémas encore acceptés au Luxembourg. Recréer une forme de « certitude fiscale » – un concept très prisé des investisseurs, dont le Luxembourg fait depuis toujours l’un de ses atouts majeurs. Mais là où le bât blesse, c’est que ces missives ont rapidement été détournées de leur objet premier par des fiscalistes zélés.
Plusieurs sources expliquent que ces lettres ont, en réalité, pris la suite des rescrits ultra-avantageux, auparavant tamponnés à l’aveugle et de manière industrielle par l’administration fiscale luxembourgeoise. Les fiscalistes s’en sont servis pour obtenir un accord implicite de l’administration sur le traitement fiscal qu’ils entendaient appliquer à une structure créée au Luxembourg ou une opération financière, et le vendre comme tel auprès de leur clientèle d’entreprises. Ces lettres ne prévoient pas noir sur blanc un taux d’imposition zéro ; elles permettent plutôt de trancher dans un sens favorable lorsque l’impôt dû sur une opération particulièrement complexe n’est pas clair. Lire la suite.