Les 22 d’Asnières : dans les pas de la police fiscale
Créé le 02-12-2012 à 17h01 - Mis à jour le 03-12-2012 à 12h31
PARIS (Sipa) — Le claquement métallique d’une culasse dans les locaux de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) à Asnières (Hauts-de-Seine). Avant de partir s’entraîner, un membre de la police fiscale « chambre » son Sig Sauer SP2022 au-dessus d’un puits de tir. L’arme est opérationnelle, la cartouche est montée dans la chambre de l’arme.
Vingt-deux enquêteurs - neuf policiers et 13 agents des impôts, qui, après une une formation de trois mois et un examen, sont dotés de pouvoirs judiciaires - composent cette brigade créée le 4 novembre 2010. L’affaire de la liste des 3.000 comptes HSBC d’évadés fiscaux en Suisse, après l’épisode de la fraude fiscale au Liechtenstein, a conduit le gouvernement français à muscler année après année son arsenal anti-fraude.
"A ce jour et depuis sa création, la brigade a travaillé sur 75 affaires, qui concernent au moins 120 personnes mises en cause, pour un montant de droits fraudés estimés aujourd’hui à 255 millions d’euros", a révélé à Sipa Guillaume Hézard, qui dirige cette escouade de limiers forts en droit et procédures fiscales. Parmi ces dossiers, figurent certains des noms de la liste HSBC ainsi que l’affaire de la succession Wildenstein. La police fiscale devrait voir son action renforcée par certaines des mesures comprises dans le collectif budgétaire (PLFR) dont l’examen débute lundi à l’Assemblée nationale.
Et maintenant les faux expatriés fiscaux ?
"Aujourd’hui, nous ne pouvons être saisis que d’affaires ayant pour point de départ l’usage de faux ou la dissimulation de comptes dans un Etat, un paradis fiscal. Avec le PLFR, notre champ de saisine pourra être élargi aux fausses domiciliations fiscales et aux manœuvres frauduleuses visant à égarer l’administration", souligne le commissaire Hézard. On sent le patron de la BNDRF pressé d’en découdre avec ces vrais-faux exilés fiscaux ou de se colleter avec les fraudes montées autour du crédit d’impôt recherche ou de la fiscalité environnementale. En s’intéressant à ce genre d’affaires, la police fiscale espère pouvoir mettre en cause les complices du fraudeur, ceux qui proposent de la fraude pour autrui. Et dans cette démarche personne n’est à l’abri : banquiers, conseillers fiscaux, notaires, experts comptables… Tous pourraient se retrouver à devoir participer financièrement aux amendes dont écoperait le fraudeur principal.
« Il s’agit pour nous d’aller sur des dossiers sur lesquels le fisc a de très fortes suspicions mais ne peut aller plus avant », explique à Sipa Frédéric Long, adjoint au chef de la BNDRF. La brigade n’a néanmoins pas tous les pouvoirs. En aucun cas, elle ne peut s’autosaisir. Alors, avant que la police fiscale n’entre en scène, se déroule une longue procédure administrative. D’abord, il faut que le fisc soumette le dossier objet de présomptions de fraudes à la commission des infractions fiscales (CIF). Cette dernière dit si oui ou non il y a motif à poursuivre. Dans l’affirmative, la plainte est transmise au procureur de la République, qui saisit la BNRDF.
Comptes dissimulés à l’étranger
Pour mener ses investigations, la police fiscale ne s’appuie pas seulement sur le code général des impôts : filatures, perquisitions, écoutes téléphoniques, interrogatoires, gardes à vue sont au menu d’enquêtes qui durent en moyenne six à sept mois et où l’on peut être amené à jouer alternativement du clavier d’ordinateur, des menottes voire de la gâchette.
De quoi surprendre « les clients » de cette brigade quand ils voient débarquer les enquêteurs à 6h du matin pour une perquisition. « C’est vrai que nous bénéficions encore d’un certain effet de surprise. Ils sont même parfois choqués car ils se croyaient dans une impunité parfaite ». La majorité des affaires traitées par la BNDRF sont des dossiers patrimoniaux de fraude à l’impôt sur le revenu et à l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) avec à la clé des comptes dissimulés à l’étranger. Chaque fois, il s’agit de personnes très aisées puisque les montants fraudés sont en moyenne proche du million d’euros. Héritiers, rentiers, commerçants, dirigeants de sociétés forment le gros des bataillons des cibles de la police fiscale.
A l’heure actuelle, une dizaine d’affaires ont été transmises par la BNDRF aux magistrats mais pour l’instant aucune n’a encore donné lieu à un procès. Les peines encourues peuvent aller jusqu’à sept ans de prison et un million d’euros d’amendes pour des fraudeurs qui en outre devront rembourser les impôts sommes éludés. « Avant de renvoyer devant un tribunal, les jugent préfèrent disposer d’une évaluation fiscale des droits fraudés ce qui permet d’avoir une idée de la créance de l’Etat sur le contribuable. Ce qui les aidera à fixer une peine », justifie M. Long. Afin de s’assurer de récupérer des fonds, la brigade est autorisée à procéder à des saisies lors de ces enquêtes. Un trésor de guerre qui se monte actuellement à près de 20 millions d’euros.
ae/sb