Enron : trois banquiers britanniques dans la tempête
Jacques Duplouich.
Publié le 14 juillet 2006
Actualisé le 14 juillet 2006 : 08h21
David Bermingham, l’un des « Natwest 3 », reproche à son gouvernement la signature d’un traité facilitant le transfert de suspects outre-Atlantique.
Rubrique International
L’extradition hier vers les États-Unis des trois ex-employés de la NatWest a déclenché une crise politique à Londres.
« C’EST un triste jour pour vous les gars. Votre gouvernement vous a laissés tomber ! » David Berming ham est amer. Devant l’hôtel de police de Croydon, dans la banlieue sud de Londres, il s’adressait hier à la horde de journalistes britanniques venus, dès l’aube, assister à son extradition vers les États-Unis. Gary Mulgrew et Giles Darby, ses deux coaccusés, l’accompagnent. La justice américaine reproche à ce trio d’anciens banquiers de NatWest des malversations au détriment du conglomérat banqueroutier Enron et de leur ex-employeur. Les « NatWest 3 », comme la presse les appelle, nient en bloc.
S’il interpelle les journalistes pour les plaindre, en fait, David Bermingham s’apitoie surtout sur lui-même et sur ses compagnons. Son reproche au gouvernement de Tony Blair porte sur le traité signé en mars 2003 par Londres et Washington qui permet aux shérifs américains venus du Texas de l’emmener de Gatwick à Houston, sur un vol de la compagnie Continental. Le traité, élaboré dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, vise à faciliter le processus d’extradition d’un pays vers l’autre. Il permet aux États-Unis d’obtenir le transfert de suspects outre-Atlantique sans avoir à présenter de preuves formelles des charges pesant contre eux. C’est cet aspect de l’agrément que déplore David Bermingham, outre le fait qu’à l’inverse du Royaume-Uni le Sénat américain n’a pas encore ratifié le traité.
Tribunal texan
Deux ans qu’il luttait, avec ses « complices » présumés, contre le mandat d’amener délivré par un tribunal texan. Si procès il doit y avoir, pourquoi ne se tient-il pas devant une cour britannique, interroge-t-il ? Tout simplement parce que la justice britannique n’a rien trouvé à leur reprocher. La NatWest qui aurait été allégée de quelque 15 millions d’euros, en 2002, du fait de leur indélicatesse, n’a, bizarrement, jamais fait valoir ses droits de « victime ».
Ensemble, les NatWest 3 auraient incité à vendre une succursale de leur groupe, à bas prix, à une société fondée par deux responsables d’Enron et dont ils étaient eux-mêmes actionnaires. Peu après la transaction, la société, basée aux îles Cayman, aurait été revendue à Enron au prix fort. David Bermingham et ses associés auraient, alors, revendu leurs parts, empochant au passage une plus-value d’1,1 million de livres chacun, au détriment de NatWest et d’Enron.
Le soutien de la City
Après le désastre financier et social d’Enron au début des années 2000, les trois banquiers se sont trouvés dans la ligne de mire de la justice d’outre-Atlantique. Dès lors, ils n’ont eu de cesse de se présenter en victimes, soutenus indéfectiblement par leurs pairs de la City, préoccupés à la perspective de se retrouver, quelque jour, dans une situation semblable. Les hauts dirigeants des banques établies à Londres ont, depuis le début de cette affaire, modifié la formulation de leurs contrats d’assurance de manière à inclure dans les garanties tous les frais couvrant leurs recours juridiques contre d’éventuelles demandes d’extradition.
Les NatWest 3 se sont assuré les services de deux sociétés de relations publiques pour plaider leur cause dans les médias. Des campagnes de presse insistant sur « l’iniquité » du traité d’extradition ont abouti, avant-hier, à l’organisation d’un débat d’urgence aux Communes. La Chambre des Lords a demandé un moratoire tant que le Sénat américain n’aura pas ratifié le texte. Peine perdue. Tony Blair assure que, même sans le traité, les banquiers auraient été extradés.
L’affaire a pris, cependant, une dimension tragique. Avant-hier, la police a retrouvé dans un parc de l’est londonien le corps sans vie de Neil Coulbeck, proche collaborateur, jadis, de David Bermingham. « Il est vraisemblable qu’il n’y a aucun lien entre sa mort et notre affaire », assurait David Birmingham, avant son départ vers les États-Unis. La police, elle, a conclu à un suicide.
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