Les morts mystérieuses
Christophe Deloire Publié le 11/10/2002 à 03:10 | Modifié le 19/01/2007 à 03:01 Le Point
Le feuilleton judiciaire des frégates de Taïwan vire au polar. Comme dans le film de Francesco Rosi « Cadavres exquis », une vague d’étranges décès a décimé les protagonistes. Ces trépas de témoins de l’opération Bravo aiguisent la curiosité de Renaud Van Ruymbeke et Dominique de Talancé. Les deux juges d’instruction, chargés d’un dossier de corruption et escroquerie concernant la vente des six frégates Lafayette à Taïwan en 1992 pour 15 milliards de francs, tentent d’élucider la place de ces morts mystérieux dans le puzzle de l’affaire. « Les juges veulent faire le contraire de leurs collègues américains, qui, ne pouvant coincer Al Capone pour ses crimes de sang, ont travaillé sur ses affaires financières, commente Sophie Bottai, avocate de Christine Deviers-Joncour. Là, à défaut de pouvoir avancer sur l’argent, les juges se consacrent au sang. »
[…] Retour sur des tragédies. Le 4 juin 2001, Jacques Morisson, négociateur des aspects techniques de Bravo, s’écrase dans la cour de son immeuble de Neuilly.
[…] De leur propre aveu, les deux hommes ont voulu vérifier s’il y avait un lien entre la mort de Morisson et celle d’un agent secret.
L’agent secret en question, qui a fréquenté les coulisses de la vente des frégates, s’appelle Thierry Imbot. Le 10 octobre 2000, cet homme de 48 ans a chuté du quatrième étage, au 18 de la rue Jean-Goujon, près des Champs-Elysées. A 23 h 30, un locataire a trouvé son corps gisant au milieu de la cour de l’immeuble, un peu décalé par rapport à la fenêtre de son appartement, par laquelle il a dû passer.
[…] Comment Thierry Imbot est-il mort ? De l’avis général, l’espion, reconverti dans le commerce, ne s’est pas suicidé. Père de six enfants, marié à une directrice de production de CNN, correspondante à la Maison-Blanche, Susan Toffler, Imbot attendait l’arrivée imminente de son épouse, en congé sabbatique. Le jour de sa mort, il avait emménagé dans cet appartement de grand standing de 170 mètres carrés. Lors des constatations, la porte de service était fermée à clé de l’intérieur et la porte d’entrée seulement claquée. Des agresseurs sont-ils sortis par cette voie ? Il aurait fallu, alors, qu’ils passent devant le corps de leur victime, au risque de croiser un témoin.
[…] Thierry Imbot avait une longue carrière d’agent secret derrière lui. Fils de général, il était devenu officier à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en 1979, après avoir étudié deux ans dans les universités de Taipei et de Tinju, à Taïwan. Affecté d’abord à la Banque de Paris et des Pays-Bas pour se former en matière bancaire, Thierry Imbot s’est occupé ensuite d’un camp d’entraînement du combattant afghan Massoud dans la région chinoise du Xinjiang. En septembre 1985, le gouvernement de Laurent Fabius nomme le père de Thierry, le général René Imbot, à la tête de la DGSE. Pour son service et pour son fils, l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre a des ambitions. René dépêche Thierry à Pékin dans le cadre de sa politique d’ouverture à la Chine. En 1991, le préfet Claude Silberzahn, nommé par François Mitterrand à la direction de la DGSE, renvoie Thierry Imbot, alors en poste à Washington, à ses premières amours. De retour à Taïwan, l’espion travaille sous couverture de la DREE du ministère des Finances. En 1993, l’agent secret refait sa vie privée avec une Américaine. Il est éconduit pour « faille dans le comportement » et « mise en vulnérabilité », selon Silberzahn. « Silberzahn ment », conteste René Imbot, qui évoque la « démission » de son fils.
Consultant de Falcone
Thierry Imbot refait sa vie professionnelle dans une société informatique de Washington liée aux services de renseignement français, puis se lance dans des activités commerciales avec l’Afrique. Il fait même office de consultant pour le marchand d’armes Pierre Falcone. Ce dernier, mis en examen dans l’affaire de l’Angolagate, lui a même versé des dizaines de milliers de dollars. Et Imbot reste en contact avec la DGSE, où son officier traitant n’est autre qu’un magistrat détaché au ministère de la Défense. A tort ou à raison, ce magistrat a récemment été soupçonné d’avoir diligenté des enquêtes au Japon pouvant nuire à Jacques Chirac.
Le 10 juin 2002, dans le cabinet du juge Van Ruymbeke, René Imbot assure que son fils a été envoyé à Taïwan pour suivre de près le dossier des ventes d’armes : « Il savait tout et il tenait la DGSE informée […]. Il a dû faire des rapports de mission, notamment auprès de M. Silberzahn. » Le général à la retraite raconte que son fils a évoqué devant lui des commissions grâce auxquelles des « fortunes colossales » se seraient constituées à Taïwan et en France. Le 26 juin 2002, Claude Silberzahn assure être dans l’incapacité de préciser au juge quels rapports ou « codages » son officier à Taïwan a rédigés. En une formule obscure, l’ancien directeur de la DGSE dit avoir été « surpris mais pas complètement étonné » de la mort de l’espion Imbot. Comme nombre d’agents, il avait traité, selon le préfet, des affaires « comportant des risques ».
« Ils l’ont tué. »
Interrogé par Le Point, René Imbot dit ne disposer d’aucun indice laissant penser à un assassinat. S’agit-il d’une précaution ? Le général a narré à la police, puis au juge, que son fils avait subi un étrange accident le vendredi 6 octobre 2000, quatre jours avant sa mort.
[…] Le lendemain de sa mort, selon son père, Thierry Imbot avait un rendez-vous important avec un journaliste.
[…] le jour de sa mort. Le représentant régional de Thomson, Jean-Claude Albessard, était, semble- t-il, là lui aussi. Il a quitté l’île quelques jours plus tard. « Pour raisons médicales », selon le secrétaire général de Thomson. Albessard est décédé à Tokyo en mars 2000. Lire l’article au complet.