Un livre sur la mort du banquier Stern censuré en Suisse
La justice interdit aux deux auteurs de publier avant la fin du procès.
Par Renaud LECADRE
QUOTIDIEN : Samedi 9 septembre 2006 - 06 :00
Après Un homme à abattre, un livre à abattre ? Le premier est le titre provisoire du second, consacré à la mort d’Edouard Stern, rédigé par deux journalistes de la Tribune de Genève, Valérie Duby et Alain Jourdan. Le meurtre du banquier français est toujours à l’instruction en Suisse. Son ex-maîtresse, Cécile Brossard, a reconnu le crime, mais reste à le qualifier pénalement : meurtre passionnel ou assassinat prémédité ? Le livre, résume Alain Jourdan, « raconte l’histoire criminelle avec beaucoup de détails, donne des pistes, parfois inachevées, mais refuse de tomber dans la théorie du complot » .
Surprenant. En juin dernier, les deux auteurs contactent les avocats des différentes parties pour valider leurs citations figurant dans le manuscrit. Celui de Cécile Brossard, Me Bruno de Preux, exige de se faire communiquer l’intégralité du livre. Refus classique des journalistes, procès. Au mois de juillet, le tribunal du canton de Genève déploie l’artillerie lourde : interdiction aux auteurs de remettre leur manuscrit à un éditeur, « en Suisse ou à l’étranger ». La justice helvète se fend au passage d’un attendu surprenant, qualifiant le travail des journalistes d’ « investigation privée alors qu’une instruction pénale est en cours » sans même l’avoir lu.
« Cette interdiction est une entorse crasse à la liberté d’expression, s’indigne Me Robert Assaël, avocat des auteurs. On ne doit pas confiner le journalisme à la diffusion docile de l’information officielle. » Il a plaidé mercredi en appel la levée de l’interdiction, la décision sera rendue d’ici à la fin septembre. Me De Preux se défend de toute censure et dit vouloir seulement lire le manuscrit avant diffusion : « Si son contenu ne viole pas la présomption d’innocence, nous ne nous y opposerons pas. Mais s’il contient des affirmations fausses, il peut induire en erreur juges et jurés. »
Sagement. Si l’interdiction est confirmée, les journalistes n’auront plus le droit d’écrire sur une affaire en cours, réduits à attendre sagement et longuement la décision d’un tribunal : « Les cités auront loisir, le cas échéant, de publier après procès », affirme le jugement de première instance. Car le dossier Brossard-Stern traîne en longueur. « Tout a été fait pour que le procès ait lieu après l’élection présidentielle » française, affirme Alain Jourdan. Dans le livre, ils évoquent la proximité entre Edouard Stern et Nicolas Sarkozy, l’intérêt du banquier d’affaires pour le fonctionnement de Clearstream… « Il y a des révélations, mais pas de quoi non plus faire tomber la République », nuance le journaliste.
Les auteurs ont reçu le soutien de la section suisse de Reporters sans frontières, qui dénonce une « censure préalable lésant le droit à l’information ». Le syndicat romand des journalistes envisage un soutien financier pour la défense des auteurs, harcelés par les procédures : Cécile Brossard vient de porter plainte au pénal pour insoumission à une décision de justice, après qu’un prototype de jaquette du livre a circulé sur l’Internet. Un simple référencement à la Fnac, semble-t-il, puisque le livre sera bien publié, mais en France, aux éditions Privé. « J’ai reçu leur manuscrit avant l’interdiction, dit en souriant son fondateur, Guy Birembaum. Il sera publié prochainement. »
Ce n’est pas la première fois que les Suisses seraient privés d’un livre disponible partout ailleurs en Europe. Peu avant la Coupe de monde de football, un tribunal de Zurich avait interdit sans l’avoir lu, une manie le réquisitoire d’un journaliste anglais, Andrew Jennings, contre Sepp Blatter, le tout-puissant président de la Fifa, basée en Suisse.
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