Un roman pour lire le meurtre de Stern
Le livre d’un cousin dresse son portrait psychologique.
Par Luc HILLY
samedi 16 avril 2005 (Liberation - 06 :00)
Et si la clé du destin tumultueux d’Edouard Stern se trouvait dans un roman ? Alors que les thèses se multiplient sur les motifs de l’assassinat du banquier français, exécuté de quatre balles le 28 février à Genève, une fiction tout juste parue contient peut-être les raisons d’une mort violente si difficile à décrypter pour les enquêteurs suisses.
Le livre s’intitule les Orphelins. Ce roman met en scène un personnage nommé Berg, qui ressemble à s’y méprendre au banquier tué par Cécile Brossard, l’ex-mannequin aujourd’hui en prison sur les bords du Léman. L’auteur du livre, Hadrien Laroche, est un cousin lointain du défunt, dont le portrait se résume sous sa plume à une formule : « un orphelin volontaire », enfant broyé par l’indifférence de ses parents, animé à l’âge adulte « par un besoin de carnage considérable ». Révélé en Suisse par le quotidien le Temps, les Orphelins est devenu en quelques jours un ouvrage très prisé dans les librairies genevoises, bien qu’il ne recèle rien sur le crime lui-même et sur la découverte du cadavre revêtu d’une combinaison de latex. « J’ignorais l’existence d’Edouard Stern au moment où j’ai reçu le manuscrit, confie le directeur des éditions Allia, Gérard Berréby. C’est le 3 mars que l’auteur, bouleversé par le meurtre et très angoissé, m’a raconté. »
Homme torturé. Dressé par le romancier, le profil psychologique d’Edouard Stern, que le juge d’instruction Michel-Alexandre Graber peine tant à cerner, deviendrait presque limpide. C’est le portrait d’un homme torturé, étouffé par le poids des traditions familiales. Un enquêteur qui a lu le livre assure : « Tout, dans cette affaire, tourne autour de la personnalité de Stern. Ce n’est pas un banquier comme les autres que l’on a tué. C’est un homme qui avait cristallisé autour de lui toutes sortes de passions sulfureuses. Sa vie explique sa mort. » Car, au fil des révélations parues ces jours-ci dans la presse ou brandies par les avocats des deux parties, la même question domine toujours : qui était ce banquier établi à Genève en 1997, partageant son existence entre New York, où résident son ex-femme et ses trois enfants, Paris, où il conservait un appartement près de la tour Eiffel, le Loiret, où il possédait un château de famille, et des terrains de chasse variés ? Sans compter la Russie, pour ses affaires, et l’Afrique, où il traquait le grand fauve en s’adonnant aux armes à feu.
Paternité avortée. Dans sa dernière édition, le Nouvel Observateur révèle qu’Edouard Stern avait eu en 1999 un enfant issu d’une liaison avec une jeune femme russe, ancienne Miss URSS. Le nourrisson, que le banquier n’a pas reconnu, serait mort un an plus tard dans des circonstances troubles, alors que les amants étaient séparés. C’est cette paternité avortée que Cécile Brossard, sa nouvelle amante genevoise, aurait découverte, puis fait payer à Edouard Stern qui, pour étouffer une éventuelle tentative de chantage, lui aurait versé 1 million de dollars mais bloqué quelques jours avant le drame.
A Genève, où le magistrat instructeur a décidé de lever le huis clos entourant le dossier, la piste russe laisse perplexe. Les avocats de la famille d’Edouard Stern, enterré au cimetière juif de Veyrier, affirment que l’argent est le vrai mobile du crime. Selon eux, la somme n’était pas un « don », comme l’affirment les défenseurs de Cécile Brossard, mais le résultat d’une tractation en vue de l’achat de tableaux. Edouard sommait Cécile de rendre l’argent. L’intéressée l’aurait tué pour se l’approprier définitivement. « Dans cette affaire, les révélations ne font qu’épaissir le mystère », notait, vendredi, un enquêteur suisse.
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