Secret des affaires : informer n’est pas un délit
Les Inrocks le 28/01/2015 | 10h50
C’est une mobilisation sans précédent dans le monde du journalisme d’enquête. Des centaines de journalistes de la presse écrite, web et audiovisuelle français font cause commune contre un amendement de la loi Macron qui, en voulant instaurer un « secret des affaires », met gravement en péril la liberté d’informer. Chacun peut signer ici l’appel.
Tribune. Il y a un loup dans la loi Macron. Le projet de loi actuellement discuté à l’Assemblée nationale contient un amendement, glissé en catimini dans le texte, qui menace d’entraver le travail d’enquête des journalistes et, par conséquent, l’information éclairée du citoyen. Sous couvert de lutte contre l’espionnage industriel, le législateur instaure comme nouvelle arme de dissuasion massive contre le journalisme un « secret des affaires » dont la définition autorise ni plus ni moins une censure inédite en France.
Le texte, qui a été préparé sans la moindre concertation, laisse la libre interprétation aux seules entreprises de ce qui relèverait désormais du « secret des affaires ». Autrement dit, avec la loi Macron, vous n’auriez jamais entendu parler du scandale du Médiator ou de celui de l’amiante, de l’affaire Luxleaks, UBS, HSBC sur l’évasion fiscale, des stratégies cachées des géants du tabac, mais aussi des dossiers Elf, Karachi, Tapie-Crédit lyonnais, ou de l’affaire Amésys, du nom de cette société française qui a aidé une dictature à espionner sa population. Et on en passe… La simple révélation d’un projet de plan social pourrait, en l’état, elle aussi, tomber sous le coup de la loi Macron.
Dérives liberticides
Avec ce texte, un juge saisi par l’entreprise sera appelé à devenir le rédacteur en chef de la nation, qui décide de l’intérêt ou non d’une information. Une disposition spéciale prévoit même que la justice puisse empêcher la publication ou la diffusion d’une enquête. Dans le cas où le journaliste viole ce « secret des affaires », il encourt trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. La mise est doublée en cas d’atteinte à « la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France ». Une triple notion suffisamment vague pour autoriser toutes les dérives liberticides.
Même tarif pour les lanceurs d’alerte, les fameuses sources sans lesquelles certaines affaires ne sortiraient pas. Ce texte inacceptable est mis au vote alors même qu’une loi prévoyant le renforcement de la protection des sources des journalistes a été discrètement enterrée l’été passé.
Nous, journalistes, refusons de nous contenter de recopier des communiqués de presse pour que vous, citoyens, restiez informés. Et comme disait George Orwell : « Le journalisme consiste à publier ce que d’autres ne voudraient pas voir publié : tout le reste n’est que relations publiques. » C’est pourquoi nous demandons le retrait pur et simple de ce texte. Lire la suite.