Au procès libyen, mallettes de cash et villas colombiennes

Jeudi 6 février 2025

Mallettes de cash au ministère de l’Intérieur, virements très douteux officiellement destinés aux travaux d’une villa colombienne squattée… Au procès libyen, le tribunal s’intéresse désormais à l’argent, tentant de retracer les flux financiers qui auraient alimenté la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Agence France-Presse 6 février 2025 à 19h46

Mallettes de cash au ministère de l’Intérieur, virements très douteux officiellement destinés aux travaux d’une villa colombienne squattée… Au procès libyen, le tribunal s’intéresse désormais à l’argent, tentant de retracer les flux financiers qui auraient alimenté la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

La scène décrite par le chauffeur de Ziad Takieddine, Claude Guéant la connaît sans doute « par cœur », dit le procureur financier.

Mais dans le doute, il raconte à nouveau : la grosse Mercedes qui s’arrête devant la grille place Beauvau, le chauffeur qui baisse la vitre arrière où se trouve l’intermédiaire sulfureux. « Il se présentait au fonctionnaire de la guérite en disant "TAK", même pas en disant son nom et le fonctionnaire nous ouvrait la grille ».

Depuis sa chaise rouge à la barre, Claude Guéant, 80 ans et une heure d’interrogatoire par jour maximum sur ordre du médecin, hausse les épaules : « on n’entre pas au ministère de l’Intérieur comme dans un moulin ».

La veille, Nicolas Sarkozy, occupant des lieux à l’époque, avait franchement explosé face à cette « idée folle ». « Mes propres enfants étaient contrôlés ! » Et Ziad Takieddine (prévenu mais en fuite) serait rentré trois fois, avec des mallettes contenant un total de cinq millions d’euros, sans que personne ne s’en aperçoive ?

« C’est inconcevable, ça n’a pas de sens ! C’est l’endroit le plus gardé de France, le ministère de l’Intérieur, il peut y avoir une bombe, il peut y avoir un tas de choses ! ». Alors on fouille, singe-t-il, hors de lui : « voulez-vous ouvrir votre sac Madame, voulez-vous ouvrir votre mallette Monsieur ? »

Imperturbable, la présidente pose la question : « les sommes sont-elles allées sur votre campagne ? ». « NON, NON, et NON », répond l’ex-président.

Plus calmement, son ex-directeur de cabinet répète « avec force » qu’il n’a « jamais vu d’argent libyen, jamais ». On dit que Mouammar Kadhafi offrait du cash à ses visiteurs étrangers ? Claude Guéant assure n’avoir jamais reçu autre chose qu’une « sorte de tenue traditionnelle » et « une caisse de dattes ».

  • « Bahamas » -

Outre les remises de cash - confirmées par des dignitaires libyens -, l’accusation estime que l’argent est également arrivé par virements bancaires. L’enquête a permis d’en retracer trois, arrivés sur un compte de Ziad Takieddine, pour un total de six millions d’euros.

Premier prévenu à s’expliquer : Thierry Gaubert, 73 ans, chemise blanche et costume marine, fine chevelure argentée peignée vers l’arrière. Il est un « ex »-proche de Nicolas Sarkozy, même si l’accusation le soupçonne d’avoir été impliqué dans la campagne 2007.

Pourquoi a-t-il reçu un virement de 440.000 euros de Ziad Takieddine en 2006 ?, demande le tribunal.

A la barre, celui qui a déjà été condamné pour fraude fiscale et plus récemment en appel dans le volet financier de l’affaire Karachi, explique qu’un de ses amis avait suivi son exemple et décidé de se faire construire une villa en Colombie - « le prix d’un deux-pièces à Paris », justifie-t-il.

Mais l’ami a les yeux plus gros que le ventre et se trouve à court de fonds. « Ziad Takieddine lui a proposé de l’aider pour finir ses travaux ».

L’ami n’ayant « pas de compte à l’étranger », il demande à passer par celui que Thierry Gaubert a ouvert aux Bahamas sur « conseil » de sa banque.

La présidente Nathalie Gavarino lève un sourcil. « C’est impossible d’envoyer de l’argent en Colombie si on n’a pas de compte ? »

Thierry Gaubert ne sait pas trop, justifie mal pourquoi les paiements correspondant selon lui aux travaux n’ont été faits qu’un an plus tard. « A un moment il y a eu des squatteurs, il a fallu les sortir », avance-t-il.

« A chaque réponse un nouveau détail apparaît », s’exaspère la présidente. « Quand même », une « association de malfaiteurs, c’est une infraction grave ».

Thierry Gaubert bredouille, pour lui « le plus important c’est de montrer que ça ne peut pas avoir servi à la campagne ».

Justement, la présidente finit par mettre les pieds dans le plat, évoquant cet « enchaînement des dates » qui l’interpelle : 31 janvier 2006, virement libyen sur le compte de Ziad Takieddine. Deux jours plus tard, virement de Ziad Takieddine à Thierry Gaubert.

Au même moment dans le calendrier de ce dernier, une mention : « NS campagne ».

« Une coïncidence ? », demande-t-elle.

Agence France-Presse

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