Agence France-Presse 14 septembre 2023 à 16h55
La fille et la compagne d’Alexander Ponomarenko, le patron de l’entreprise Mosvodokanal qui approvisionne l’agglomération de Moscou en eau potable et qui soutient la guerre contre l’Ukraine, ont « déposé des millions en Suisse, même après le début de la guerre », révèle cette enquête.
Les journalistes ont analysé, en collaboration avec un consortium de médias dont le quotidien français Le Monde, des documents russes et des données d’un gestionnaire de fortune zurichois. Elles avaient atterri temporairement sur le darknet après une attaque au rançongiciel.
En juin 2022, alors que l’ONU dénonçait à Genève les atrocités commises par les Russes contre les civils à Marioupol, la fille de M. Ponomarenko ouvrait « presque au même moment » un compte auprès de la banque Reyl à Zurich sur lequel était versé « peu de temps après » un montant de « 9,5 millions de dollars ».
En novembre 2022, la compagne de M. Ponomarenko détenait, elle, près de « 26 millions de dollars auprès de Julius Baer, ainsi que 4,5 millions auprès de la banque Pictet ».
En mars 2022, la Suisse avait pourtant interdit à ses banques d’accepter des dépôts de ressortissants russes plus de 100.000 francs suisses.
Plusieurs banques, dont Julius Baer, avaient elles-mêmes annoncé se séparer de leurs clients russes.
- Passeport doré -
Mais ces restrictions peuvent être « facilement contournées », explique l’enquête.
D’abord parce que les comptes appartiennent à sa compagne et sa fille, et non à M. Ponomarenko, mais aussi parce que celles-ci disposent d’un passeport ou d’un permis de séjour dans un pays de l’UE, « à Chypre et en Espagne », ce qui leur permet de ne pas être « considérées comme des clientes "de Russie" ».
Or, pour les Russes fortunés, obtenir un « passeport doré » ne pose aucun problème, soulignent les journalistes.
L’expression désigne les passeports octroyés moyennant, par exemple, une promesse d’investissement dans le pays émetteur.
La fuite de données a ainsi révélé qu’à l’automne 2022, lorsque la banque Reyl a réalisé qu’une des deux femmes était aussi russe, elle avait demandé par courriel au gestionnaire de fortune qui voulait lui ouvrir un compte de veiller à l’informer « si la personne (avait) deux nationalités ».
Les banques suisses auraient pourtant dû « tirer la sonnette d’alarme » puisque deux sites russes avaient accusé M. Ponomarenko de détournement de fonds, notamment pour financer « des propriétés de luxe en France », d’après l’enquête.
De plus, « la fille et la compagne du directeur d’une entreprise publique sont des personnes politiquement exposées », et donc « des clientes à haut risque », a précisé à Tamedia Gretta Fenner, directrice du Basel Institute on Governance, un institut qui aide les gouvernements à repérer les avoirs illégaux.
Contactée par l’AFP, la banque Julius Baer a indiqué se conformer à « toutes les lois et règlementations applicables », mais ne pas commenter les relations avec ses clients « présumés ou réels ».
La banque Reyl a elle aussi dit se conformer aux règles, sans plus de commentaires.
La banque Pictet a invoqué le droit suisse interdisant toute déclaration sur ses relations bancaires, existantes ou non.
« Nous sommes extrêmement attentifs à toute thématique en lien avec la Russie », a-t-elle toutefois précisé.
Un cabinet d’avocats a indiqué aux journalistes que la compagne de M. Ponomarenko a quitté la Russie en février 2022 et tente de mettre fin à ses liens économiques avec le pays. Il ajoute qu’elle n’est plus en couple avec M. Ponomarenko « depuis plusieurs années ».
La Suisse fait régulièrement l’objet de critiques, entre autres des Etats-Unis qui lui reprochent de ne pas en faire assez pour traquer les avoirs russes.
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