Asie-Pacifique
Suharto, 32 ans de règne sans partage sur l’Indonésie
AP | 27.01.2008 | 08:20
L’une des dernières figures de la Guerre froide, l’ancien président indonésien Suharto, mort dimanche à l’âge de 86 ans, aura dirigé d’une main de fer son pays pendant plus de trente ans, entre répression et corruption, avant d’être chassé du pouvoir sous la pression de la rue en 1998.
Au cours de son règne autocratique sur cet archipel-mosaïque de plus de 17.500 îles, Mohammed Suharto a transformé une économie au bord de la ruine en l’un des « tigres » asiatiques, avant de démissionner, cédant la place à la chaotique et difficile démocratie indonésienne.
La tourmente financière asiatique de 1997 et son autoritarisme lui ont coûté le pouvoir à l’âge de 76 ans, au terme d’un règne considéré comme l’un des plus durs et corrompus de l’histoire du siècle. Sous son régime, jusqu’à un million d’opposants politiques ont été tués.
Depuis son départ, l’ancien général cinq étoiles s’était retiré de la vie publique, ne se hasardant hors de sa confortable villa d’un quartier bucolique de la capitale, Djakarta, que pour des événements familiaux ou des urgences médicales.
Sa santé défaillante -une série d’attaques avait définitivement endommagé ses facultés cérébrales et il ne maîtrisait plus la parole- lui a d’ailleurs permis d’échapper à un procès pour corruption, en 2000, en dépit de poursuites pour détournement de quelque 600 millions de dollars. En fait, selon l’ONG Transparency International, Suharto et son clan auraient détourné des dizaines de milliards de dollars de fonds publics.
Alors que Suharto était hospitalisé dans un état critique, le procureur général avait offert un règlement à l’amiable à la famille en janvier, le président Susilo Bambang Yudhoyono décidant en revanche de mettre le dossier en suspens.
Durant son règne, celui qui fut le doyen des dirigeants asiatiques ne fut en tout cas guère inquiété, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur pour son passif en matière de violations des droits de l’Homme, de corruption et de favoritisme, tant les plus de 200 millions d’habitants de ce pays à majorité musulmane cherchaient à se faire une place au soleil en cette période de longue prospérité.
Mais tout s’est effondré avec le krach financier asiatique à l’été 1997. Ses compatriotes l’ont alors accusé de tous les maux économiques et sociaux, la roupie perdait plus de 70% de sa valeur, la bourse de Djakarta chutait et le gouvernement fut forcé d’accepter un plan de sauvetage de 43 milliards de dollars et les inévitables réformes drastiques allant avec.
La crise était devenue trop lourde à supporter pour le quatrième pays le plus peuplé du monde et les émeutes se sont enchaînées. Celles-ci ont culminé au cours du mois de mai 1998 avec l’incendie de voitures, de banques, de centres commerciaux et de logements de la minorité chinoise, qui tient les rênes du commerce. On relèvera plus de 500 morts, dont la plupart étaient des pilleurs brûlés vifs dans les incendies qu’ils avaient allumé.
En pointe de la contestation et aux cris de « reformasi » (réformes), les étudiants brûlèrent l’effigie du président honni et envahirent le Parlement, affirmant qu’ils ne quitteraient pas l’enceinte marbrée tant que Suharto ne s’en irait pas. Le 21 mai, ce dernier n’eut d’autre choix que de démissionner, sans doute fermement « conseillé » en ce sens par la puissante armée dont les rangs se confondent souvent avec les rouages de l’Etat et de l’économie.
Le destin de Mohammed Suharto a pris forme le 8 juin 1921 lorsqu’il est né dans le village de Godean, près de Yogyakarta (600km à l’est de Djakarta). Fils d’un pauvre riziculteur, il rentre dans les rangs de l’armée en 1940 alors que son pays n’est encore que les Antilles néerlandaises. Après la défaite des Japonais, il rejoindra en 1945 les rangs du Parti nationaliste indonésien d’Ahmed Sukarno qui parviendra à obtenir le départ des Néerlandais en décembre 1949.
Le tournant dans la vie de Suharto sera la féroce répression anticommuniste de septembre 1965 qu’il dirigera en tant que général. Conscient de la force qu’il représente désormais au sein de l’appareil d’Etat, le chef militaire œuvre en compagnie d’autres officiers supérieurs et remplace, en douceur et en plusieurs étapes, son ancien maître Sukarno, père de l’indépendance. Nous sommes en 1967 et Suharto sera réélu sans coup férir jusqu’en mai 1998.
Contrairement au flamboyant et imprévisible Sukarno, Suharto a été considéré comme une sorte d’autocrate tranquille dont le style réservé, parfois mystérieux, lui a valu le surnom de « roi javanais ». Sous son règne, le pays connaîtra une forte période de croissance économique, de stabilité sociale. De premier importateur mondial de riz, l’Indonésie devient auto-suffisante en matière alimentaire en 1984.
Bien que membre actif du Mouvement des non-alignés, l’Indonésie de Suharto abandonnera vite les diatribes anti-occidentales et pro-chinoises de Sukarno. Sous son « Nouvel ordre », c’est une féroce chasse aux opposants qui sera menée : le communisme est interdit et plusieurs partis politiques sont remaniés, voires « créés », pour une participation de façade au Parlement.
Et les critiques ne s’arrêtent pas là, accusant le despote d’avoir enrichi ses six enfants multi-millionnaires, sans parler d’autres proches et d’une petite clique d’associés en affaires.
L’une des autres critiques visant le général Suharto a sans doute été la question du Timor-Oriental, cette colonie portugaise envahie en 1975. Au cours des années qui suivirent, la répression sanglante de la communauté timoraise lui vaudra de nombreux reproches à l’étranger et il subira un camouflet avec l’attribution en 1996 du Prix Nobel de la paix à l’indépendantiste José Ramos Horta et à Mgr Carlos Filipe Ximenes Belo. Avant de voir, de son vivant, le Timor accéder à l’indépendance.
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Publié avec l’aimable autorisation de l’Associated Press.
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