Société
Les réticences du préfet Erignac avant de partir en Corse
AP | 16.11.2007 | 13:44
"J’ai donc été pris au piège subtil tendu par quelques-uns« . Ainsi commencent quelques notes prises par le préfet Claude Erignac juste avant son départ pour la Corse en janvier 1996 dans lesquelles il fait état de ses réserves devant cette »mission impossible" de restaurer l’Etat de droit, alors que le gouvernement négociait avec les clandestins.
Ces notes manuscrites ont été transmises aux enquêteurs quelques mois après son assassinat par son fils Charles-Antoine, qui les a trouvées dans un coffre. Depuis, elles figurent au dossier, mais n’ont jamais été lues, ni lors du procès du commando en 2003, ni lors du procès en appel en 2006.
"Le piège est quasi-imparable pour un préfet« , soupire Claude Erignac faisant état des flatteries dont il a fait l’objet lors de sa nomination. »Mes qualités sont donc si grandes, que me voici l’homme indispensable pour la Corse« , ironise-t-il. »Si j’ai plus tard l’occasion de régler ces comptes, il ne faudra pas oublier de le faire". Chose faite, par la voix du président Dominique Coujard, qui a pris l’initiative de lire ce texte très critique pour le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-Louis Debré, et l’ensemble du gouvernement Juppé.
« J’ai clairement conscience de partir vers une mission impossible faites de contradictions éclatantes entre le discours public du gouvernement, les négociations plus ou moins secrètes, les intentions réelles des uns et des autres… », a encore écrit Claude Erignac, alors préfet des Yvelines, « poste somptueux qu’(il) n’a jamais aimé ».
« Officiellement, ma mission est triple : rétablir l’autorité de l’Etat, contribuer au dialogue républicain, faire avancer les dossiers économiques, sociaux et culturels ». Et un peu plus loin : « Le problème est qu’il faut aussi veiller à ne pas contrarier le processus ’politique’ en cours avec la trêve acquise pour trois mois, attendue pour six mois supplémentaires. En un mot, c’est le grand écart… avec les redoutables conséquences que l’on devine ».
Faisant état de la "volonté politique bien hésitante« , Claude Erignac s’interroge aussi la réponse à apporter aux »socio-professionnels de tout poil abreuvés« depuis des mois »de bonnes paroles et de semi-promesses".
Dans une deuxième note datée du 18 février 1996, Claude Erignac livre ses premières impressions de la Corse, où il a emménagé dans « une forme de palais italien bien délabré » et fait un tour de l’île. Verdict : « bord de mer nul, miteux et sale, l’intérieur ressemble à la Lozère », sa région d’origine.
"Le bilan est simple : deux morts, deux assassinats en trois jours et malgré cela il paraît que ’la trêve’ envers l’Etat est confirmée« , souligne M. Erignac qui voit une autre crainte confirmée : »il n’est pas question d’agir spectaculairement. Et ’l’autorité de l’Etat’ que l’on me demande de ’restaurer’ s’accommode aisément des obsèques irlandaises".
Avec sa femme qui faisait « contre mauvaise fortune bon cœur », Claude Erignac comptait les jours qui les séparaient d’une nouvelle nomination qu’il estimait alors à 18 mois, « moyenne approximative de (s)es prédécesseurs ».
Il sera assassiné le 6 février 1998, quasiment deux ans jour pour jour après son arrivée à Ajaccio.
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Publié avec l’aimable autorisation de l’Associated Press.
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