OpenLux : les petits secrets luxembourgeois de Kering, le géant du luxe
Par Maxime Vaudano
Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 09h44
Enquête Le groupe domicilie une demi-douzaine de filiales financières au Luxembourg, qu’il a notamment utilisées pour pratiquer des rémunérations offshore.
Au Luxembourg, la vitrine de Kering se situe au 21 de la rue Philippe-II. C’est dans cette belle artère commerçante de l’hypercentre que trônent les lettres d’or de la boutique Gucci, le fleuron du groupe de luxe français fondé par François Pinault. Un coup d’œil aux tailleurs et aux ceintures exposés dans les rayons est toutefois bien insuffisant pour comprendre l’importance du Grand-Duché pour Kering. Pour cela, mieux vaut se rendre au 124, boulevard de la Pétrusse. C’est là, à un kilomètre à peine, que sont domiciliées une demi-douzaine de filiales financières du groupe. Aucune lettre d’or, cette fois-ci, mais une petite pancarte « Kering », et de multiples boîtes à lettres : ce petit centre d’affaires héberge plus d’une centaine de sociétés sans salariés ni bureaux, et celles de Kering cohabitent tranquillement avec des filiales d’autres groupes de mode, comme Zara ou Lee Cooper.
Ces filiales ont-elles pour but de profiter des avantages fiscaux du Luxembourg ? La question est sensible pour Kering, dont les pratiques fiscales défraient la chronique depuis quelques années : déjà contraint à payer une amende de 1,2 milliard d’euros pour fraude fiscale en Italie en 2019, le groupe est visé en France par une enquête du Parquet national financier, pour « blanchiment de fraude fiscale aggravé ». Selon nos informations, le fisc français lui réclame 150 millions d’euros dans le cadre d’un redressement fiscal sur sa filiale française Yves Saint Laurent.
A en croire la direction du groupe, ces filiales luxembourgeoises n’apportent « aucun avantage fiscal au groupe ». Elles sont le fruit d’un « organigramme hérité du passé », dans lequel le Luxembourg n’est qu’un port d’escale. Les milliards générés par les ventes d’articles aux quatre coins du monde ne font qu’y passer, avant de « remonter » vers les structures financières du groupe aux Pays-Bas.
Réduction de la facture fiscale
C’est oublier le régime favorable offert par le Grand-Duché sur les ventes de sociétés. En cédant ses parts de la marque Stella McCartney pour 237 millions d’euros, en 2018, Kering a pu, par exemple, réduire sa facture fiscale à environ 2,5 millions d’euros, au lieu de 6 millions si la marque britannique n’avait pas été détenue via le Luxembourg mais depuis la France.
L’enquête OpenLux a également permis de découvrir un système de rémunération offshore mis en place par Kering, pour verser des dizaines de millions d’euros de salaires à ses dirigeants par l’intermédiaire d’une société luxembourgeoise baptisée « Castera ». L’existence de cette filiale offshore, créée en l’an 2000, avait été découverte en 2018 par Mediapart. Le site d’information avait détaillé comment Kering avait réglé une partie des salaires du patron de Gucci, Marco Bizzarri, par l’intermédiaire de Castera, économisant une grande partie des cotisations sociales qu’il aurait payées en Italie. Lire la suite.