80 ans de « cache-cash »
Evasion fiscale HSBC est l’ultime scandale de la longue histoire des fonds français dans les coffres suisses.
La source est tarie. Elle a coulé pendant longtemps, faisant le miel de certains milieux financiers helvétiques. Pendant des décennies, des Français aisés ont caché leurs fonds en Suisse. Le pays était alors blindé derrière son secret bancaire. Du gros commerçant bordelais à l’industriel du nord de la France en passant par le financier parisien, les plus riches de l’Hexagone choisissaient les banques genevoises pour dissimuler leur fortune au fisc de leur pays. Mis sous pression par Bercy – l’administration fiscale tricolore – et dorénavant éconduits par leurs banquiers helvètes, ils sont contraints de se mettre en règle, sous peine de vagabondage fiscal à l’issue incertaine.
Depuis la mise en place – en 2013 – d’un service de régularisation, plus de 40’000 contribuables en indélicatesse se sont annoncés. Le ministre français des Finances, Michel Sapin, espère engranger par ce biais environ 4,5 milliards d’euros (4,7 milliards de francs) entre 2014 et cette année. Et près de huit dossiers sur dix concernent des valeurs déposées dans des banques suisses. « Pratiquement la totalité des fonds des 2836 Français dont le nom figure sur la liste dérobée chez HSBC Genève par Hervé Falciani n’a pas été déclarée au fisc », assurent les journalistes français Gérard Davet et Fabrice Lhomme. En écho, François Rouge, ancien actionnaire de la banque genevoise BPG, confirme qu’environ « 99% » de sa clientèle française snobait Bercy.
[…] Une banque si maladroite…
La propension des riches Français à dissimuler en Suisse des fonds ou des biens ne date pas d’hier. Genève, comme le rappelle l’historien Youssef Cassis, a grandi « dans l’orbite française, dès le début du XIXe siècle. Des rois français furent clients des banquiers genevois, qui financèrent leurs guerres ». A la fin du XIXe siècle, les banques françaises s’installent à Genève. En 1872, la Banque de Paris et des Pays-Bas (aujourd’hui BNP Paribas) est la première à s’y établir, suivie quatre ans plus tard par le Crédit Lyonnais (absorbé en 2003 par le Crédit Agricole). Au début du XXe siècle, comme d’autres petites places financières neutres d’alors, à l’image de la Hollande, les acteurs de la place financière helvétique émergente commencent à s’organiser pour héberger les capitaux fuyant les crises et les guerres européennes.
« La Banque nationale suisse évoquait le phénomène de la thésaurisation des billets en utilisant la métaphore du hamster qui accumule des réserves », relèvent des historiens suisses qui se sont penchés sur les tractations sensibles de la place financière helvétique à l’époque de la montée en force du nazisme. Les fortunes françaises, emmenées par les fameuses « 200 familles », prennent leurs habitudes. Mais les premières grosses affaires éclatent. En octobre 1932, la police française arrête à Paris trois cadres de la BCB (Banque commerciale de Bâle). Les trois Suisses s’étaient rendus dans la capitale française pour payer leurs dividendes à de riches clients n’ayant pas déclaré leurs avoirs au fisc. Les limiers parisiens saisissent une liste de clients comportant 1018 noms, dont ceux de personnalités renommées. La BCB fut pénalement poursuivie en France, et la banque dut annoncer de grosses pertes. Les tribunaux français menacèrent de saisir ses actifs français. La banque entreprit une véritable course de vitesse pour les confier à d’autres entités. Elle essaya maladroitement de compenser le manque à gagner lié à la perte de sa clientèle française, qui était importante, en se développant en Belgique et au Luxembourg. Mais la mauvaise publicité liée aux « fraudes fiscales » parisiennes lui barra la route de ces autres marchés. Lire la suite.