Affaire Borrel : une bande dessinée pour comprendre
Le journaliste David Servenay et le dessinateur Thierry Martin consacrent un album à l’assassinat du magistrat Bernard Borrel. Remarquable.
Par Baudouin Eschapasse Modifié le 19/09/2017 à 14:10 - Publié le 19/09/2017 à 13:21 | Le Point.fr
Trois juges ont été assassinés dans l’exercice de leurs fonctions depuis 1945. Bernard Borrel est l’un d’entre eux. Depuis que le corps de ce magistrat a été retrouvé, partiellement brûlé, au fond d’un ravin, à 80 km de la capitale de Djibouti dans la nuit du 18 au 19 octobre 1995, l’affaire qui porte son nom n’a cessé d’occuper la chronique judiciaire. Notamment grâce à sa veuve, Élisabeth Borrel, qui s’est battue pendant toutes ces années pour que l’enquête se poursuive et que le dossier ne soit pas enterré.
À l’heure où la justice française, après avoir soutenu pendant vingt ans la thèse du suicide, vient enfin de reconnaître la réalité de l’assassinat de Bernard Borrel, alors conseiller justice du président djiboutien Hassan Gouled Aptidon, le journaliste David Servenay et le dessinateur Thierry Martin publient une bande dessinée dans laquelle ils racontent l’histoire de ce drame, avec rigueur et pédagogie. Leur récit, chapitré et dûment documenté, plonge le lecteur au cœur d’une affaire où « la raison d’État » a trop souvent été invoquée pour que cela ne soit pas suspect.
Livre-enquête
Cet ouvrage en dit long sur la manière dont les réseaux de la Françafrique ont paralysé le travail des enquêteurs. On y découvre, avec stupeur, qu’avant même de porter secours à une femme et à ses deux enfants anéantis, plusieurs fonctionnaires français se sont souciés d’éviter que ne se retrouvent dans la nature des documents compromettants pour l’entourage de l’actuel chef de l’État djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh.
On y apprend comment une poignée d’hommes et de femmes ont tout fait pour que les investigations s’enlisent : privilégiant au-delà du raisonnable la thèse du suicide, arguant de prétendus intérêts diplomatiques de la France pour ne pas répondre aux questions légitimes de la famille de la victime (Djibouti abrite une base stratégique pour l’armée française), détruisant même les pièces à conviction sous scellés qui auraient pu permettre de confondre les coupables grâce aux empreintes digitales et aux traces ADN qu’elles comportaient.
David Servenay suit l’affaire depuis plus de quinze ans. Il évoque d’ailleurs, dans ces pages, de manière pudique mais sans équivoque, comment les sujets qu’il a consacrés à cette histoire ont fini par lui coûter son poste de reporter à RFI… Son scénario dévoile l’attitude ambiguë d’une partie de l’entourage de Jacques Chirac. Il dénonce le comportement de certains des conseillers du président français qui ont veillé à tenir informés, en temps réel, les dignitaires djiboutiens impliqués dans cette histoire, distillant des rumeurs qui étayaient la thèse du suicide. Lire la suite.