Au procès libyen, « la lettre » de l’intermédiaire Takieddine, grand absent omniprésent

Mercredi 29 janvier 2025

Agence France-Presse 29 janvier 2025 à 21h02

C’est l’histoire d’un homme qui se serait « baladé » en Libye avec une lettre soi-disant signée de Nicolas Sarkozy. Mercredi, le tribunal s’est à nouveau penché sur le cas Ziad Takieddine, grand absent mais omniprésent au procès des soupçons de financement libyen de la campagne 2007.

Le témoin du jour à la barre, Alain Juillet, 82 ans, était responsable de l’intelligence économique pour Matignon entre 2003 et 2009.

« Vers 2005 » et alors que des entreprises françaises se battaient pour décrocher des contrats avec la Libye, qui voulait renouveler son aviation dit le témoin, « j’ai découvert que Ziad Takieddine se promenait avec une lettre soi-disant signée de Nicolas Sarkozy ».

Ce document aurait promis, en échange de la conclusion de contrats, la levée du mandat d’arrêt visant Abdallah Senoussi, beau-frère du dictateur Mouammar Kadhafi condamné à perpétuité par contumace en France pour son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA en 1989.

Pour l’ancien espion, cette lettre « ne tenait pas debout » mais pouvait « faire du tort à la France ». Il rencontre alors Ziad Takieddine. « Je lui ai dit qu’il fallait qu’il fasse attention parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec l’Etat français ».

C’était « quelqu’un d’agressif » à qui « il faut tenir tête », un « animal froid » qui cherchait à être en lien « avec le plus haut niveau de l’Etat » comme « tous les intermédiaires », estime-t-il. Mais qui était déjà « considéré à l’époque comme un intermédiaire "limite" ». « Tout le monde savait qu’il était jamais très clair, il fallait s’en méfier », assure Alain Juillet.

Depuis le début du procès le 6 janvier, Ziad Takieddine, en fuite au Liban depuis 2020 et non-représenté par un avocat, est celui que ses coprévenus accablent.

Il est l’accusateur principal dans ce dossier, et a notamment déclaré avoir remis des valises de billets libyens à Claude Guéant au ministère de l’Intérieur. Sur des comptes lui appartenant a été retrouvé l’équivalent de six millions d’euros en argent libyen, destinés à la campagne de Nicolas Sarkozy, selon l’accusation.

  • « Comédie » -

Pour l’ex-chef de l’Etat, Ziad Takieddine est un « escroc » aux « 16 versions » s’inventant un rôle qu’il n’aurait « jamais » eu auprès de lui. Le PNF répond que certaines déclarations ont été confirmées par l’enquête, et qu’il y a dans les nombreuses archives de l’intermédiaire des éléments qu’il n’aurait pas pu inventer.

Brice Hortefeux et Claude Guéant font aussi le maximum pour s’en distinguer, malgré les preuves de leurs relations à l’époque -dont une fameuse photo de vacances devant le yacht de Takieddine pour le premier, qui l’avait présenté au second.

« A cette époque-là », il n’était pas « sulfureux, il avait même pignon sur rue », avait tenté de se défendre M. Hortefeux.

Claude Guéant avait, lui, préféré longuement évoquer son « ego particulièrement démesuré, son aptitude particulière à mentir ». Sans pouvoir justifier pourquoi dans ce cas il l’avait tant vu, même une fois devenu secrétaire général de l’Elysée à partir de 2007.

D’autant que MM. Guéant et Hortefeux affirment que Ziad Takieddine les aurait tour à tour « piégés » à quelques semaines d’intervalle en 2005, en leur faisant rencontrer « contre leur gré » Abdallah Senoussi en Libye. Dans le cadre du « pacte de corruption », estime plutôt l’accusation.

Nicolas Sarkozy répète qu’il n’en a « jamais » entendu parler, dit avoir passé l’éponge sur cette « erreur » de ses proches collaborateurs.

« On a l’impression que personne ne vous informe jamais de rien. Claude Guéant rencontre par inadvertance M. Senoussi et ne vous en informe pas, Brice Hortefeux rencontre par inadvertance M. Senoussi et ne vous en informe pas, M. Juillet parle de cette lettre… Le dénominateur commun, c’est que les informations ne vous arrivent jamais », avance un des avocats de la partie civile Me Vincent Brengarth. « Vous êtes mal entouré ? »

Nicolas Sarkozy est furieux. « Vous avez écouté ce qu’il a dit ? » M. Juillet « répond qu’il ne m’a pas informé, qu’est-ce que vous venez me reprocher alors ! Que je joue la comédie ? », s’emporte le prévenu.

« La question c’est de savoir si vous n’êtes pas étonné que trois personnes ne vous font pas remonter l’information », rebondit la présidente.

« Cette lettre n’a jamais existé », martèle Nicolas Sarkozy. « Ziad Takieddine gardait quantité de ressources, s’il avait eu cette lettre il l’aurait gardée précieusement. »

Agence France-Presse

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