Au tribunal, l’empressement « atypique » de Sarkozy sur le nucléaire libyen

Vendredi 31 janvier 2025

Au tribunal parisien jeudi, l’ex-patronne du géant nucléaire français Areva a critiqué l’empressement de Nicolas Sarkozy à vendre du nucléaire civil à la Libye en 2007, une des contreparties selon l’accusation du financement de sa campagne présidentielle.

Agence France-Presse 30 janvier 2025 à 20h28

Au tribunal parisien jeudi, l’ex-patronne du géant nucléaire français Areva a critiqué l’empressement de Nicolas Sarkozy à vendre du nucléaire civil à la Libye en 2007, une des contreparties selon l’accusation du financement de sa campagne présidentielle.

Jugé depuis le 6 janvier et jusqu’au 10 avril aux côtés de onze autres prévenus, Nicolas Sarkozy conteste tout financement de la part du dictateur libyen Mouammar Kadhafi (renversé et mort en 2011) en échange de contreparties.

A la barre jeudi, Anne Lauvergeon ne mâche pas ses mots. Celle qui a dirigé pendant plus de dix ans l’ex-multinationale Areva est citée comme témoin par le parquet financier. Carré blond, tailleur pantalon noir, elle répond aux questions d’une voix grave, sans hésitation.

Peu après l’élection de Nicolas Sarkozy comme président, un mémorandum sur le nucléaire est signé en juillet 2007 entre la France et la Libye. Un accord de coopération suivra en décembre.

Areva n’a pas été « associé » aux négociations en amont, ce qui « n’est pas choquant », estime Mme Lauvergeon. Mais la « vitesse » de signature est « très atypique, puisque très souvent, les nouveaux accords, qui sont peu nombreux, prennent beaucoup de temps ».

Cet accord, qui ne pouvait qu’avoir bénéficié d’un « soutien politique extrêmement fort », ouvrait « la porte à de possibles discussions », poursuit-elle. Mouammar Kadhafi voulait « acheter un, voire deux réacteurs » mais « nous n’avons pas changé d’avis collectivement sur le fait que les conditions n’étaient pas réunies ».

Car même s’il s’agissait d’alimenter une usine de dessalement d’eau de mer, « ça nous semblait pas raisonnable, à aucun point de vue ». Dans chaque pays, il faut « s’assurer » qu’il existe une « autorité nucléaire solide » et « indépendante » avec « un président capable de stopper un réacteur en cas de problème ».

« Si on s’était engouffré dans la brèche ouverte, on aurait vendu en 2008 un réacteur nucléaire au colonel Kadhafi et on se serait ensuite retrouvés en guerre avec lui ! », insiste-t-elle, en référence à l’intervention occidentale en Libye en 2011.

Du côté d’Areva après l’accord… « comment dire, ça n’a pas été très dynamique », ironise Anne Lauvergeon. « J’ai reçu beaucoup d’appels téléphoniques, par exemple de diplomates, qui me disaient : "j’espère bien que vous allez pas le faire" ».

  • « Influence 0"0 » -

Dans un livre publié en 2012, celle qui était surnommée « Atomic Anne » retranscrivait une discussion avec Nicolas Sarkozy, avec qui elle avait des relations « dégradées » - selon elle depuis qu’elle avait refusé d’être ministre.

Elle lui reprochait alors d’avoir « laissé s’installer un système parallèle, opaque, qui obéit à ses propres règles et qui ne sont pas les intérêts du nucléaire ».

A l’époque, elle était « très déçue » d’une vision qui ne préservait pas assez selon elle « la technologie nucléaire, développée par des milliers d’ingénieurs ».

Au tour de Nicolas Sarkozy.

Il conteste tout « système parallèle », trouve que la témoin faisait moins la fine bouche quand elle vendait « des centrales à la Chine », peu connue pour « l’indépendance » de son autorité nucléaire. Et réfute une quelconque précipitation avec Mouammar Kadhafi, assurant que son action s’inscrivait « strictement, strictement » dans celle engagée par le président français Jacques Chirac avant lui.

Il en convient par contre : il a toujours été « 100% engagé » pour soutenir le nucléaire, et « pas seulement en Libye ! ».

Nicolas Sarkozy digresse sur la catastrophe de Fukushima (Japon) en 2011, mais la présidente le coupe. « Ce qui nous intéresse, c’est de savoir si la conclusion de contrats serait la contrepartie d’un pacte corruptif ».

Évidemment que non, balaie encore l’ex-chef de l’Etat.

Et finalement rappelle-t-il, les projets n’ont jamais abouti. « Ca ne s’est pas fait, car les Libyens n’ont suivi aucune des étapes prévues. Ils n’ont rien fait ! ».

Quant à « l’influence » d’Anne Lauvergeon dans cette affaire, « c’est 0"0 ! ».

Sans oublier de glisser que la présidence de cette dernière à Areva était un « chemin de croix » car « elle ne s’entendait avec personne ». Il souligne qu’il l’a « gardée » malgré leurs divergences politiques.

« Apparemment, elle ne m’en a pas gardé une reconnaissance éternelle. Mais l’ingratitude est quelque chose qu’on connaît bien quand on a un peu de pouvoir ».

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Agence France-Presse

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