Le patron de l’agence anticorruption réclame plus de moyens

Samedi 16 décembre 2017

Le patron de l’agence anticorruption réclame plus de moyens

15 déc. 2017 Par Agence Reuters

  • Mediapart.fr

La législation française contre la délinquance économique et financière reste loin d’être aussi efficace qu’aux Etats-Unis, estime le directeur de l’Agence française anticorruption (AFA), qui plaide dans une interview à Reuters pour une nouvelle loi.

PARIS (Reuters) - La législation française contre la délinquance économique et financière reste loin d’être aussi efficace qu’aux Etats-Unis, estime le directeur de l’Agence française anticorruption (AFA), qui plaide dans une interview à Reuters pour une nouvelle loi.

Pour Charles Duchaîne, que sa longue carrière de juge d’instruction spécialisé dans ce type d’affaires a conduit à Monaco, « il faudrait que la loi évolue », notamment pour élargir le contrôle de l’AFA sur les filiales de sociétés étrangères.

L’agence créée par la loi « Sapin II » et ses 50 agents actuels ont notamment pour mission de veiller à ce que les entreprises les plus exposées adoptent les dispositifs anti-corruption prévus par ce texte vieux d’un an à peine.

Discrètement installée au cinquième étage d’un immeuble fonctionnel du XIIIe arrondissement de Paris, l’AFA conduit ainsi depuis lundi ses premiers contrôles « in situ » dans cinq sociétés privées et une entreprise publique.

Elle peut s’autosaisir sans fournir de justification. Un article de presse, un témoignage spontané ou le fait qu’une entreprise rafle systématiquement tous les marchés d’un secteur sont ainsi susceptibles d’attirer son attention.

En rythme de croisière, l’AFA prévoit de contrôler chaque année 50 sociétés privées et publiques, et 50 acteurs publics (collectivités territoriales et administrations publiques) « sous réserve que nos effectifs soient complétés », précise à Reuters Charles Duchaîne, qui table à terme sur 70 postes.

« A mon avis, une très grande majorité des entreprises que nous allons contrôler ne répondront pas aux exigences de la loi », estime-t-il. « Notre rôle est de les amener par nos contrôles à mettre en œuvre les dispositions légales. »

PÉRIMÈTRE RESTREINT

« Nous allons essayer d’être pédagogues dans un premier temps. Si après on se rend compte que certaines entreprises ne font rien, nous appliquerons la loi dans toute sa rigueur. »

La loi « Sapin II » prévoit une sanction maximum de 200.000 euros pour les personnes physiques et d’un million d’euros pour les personnes morales en cas de manquement constaté.

« Et si, à l’occasion d’un contrôle, nous trouvons des faits de corruption, il n’y aura pas d’indulgence », ajoute Charles Duchaîne. « J’ai l’obligation de les dénoncer au parquet. »

Mais si l’idée de la loi « Sapin II » était notamment de répondre aux actions extraterritoriales de la justice américaine « pour que nos entreprises n’aillent pas se faire sanctionner ailleurs sans qu’on puisse réagir », la France demeure loin du compte en la matière, déplore le directeur de l’AFA.

« L’un des objectifs (de la loi) est de concurrencer l’action d’autorités étrangères », explique-t-il. « Finalement la loi n’atteint pas son but parce qu’elle nous enferme dans un contrôle franco-français. »

« Le périmètre de l’article 17 est très étroit. Un grand nombre d’entreprises qui mériteraient d’être contrôlées vont échapper à notre contrôle si le texte n’est pas modifié. »

La loi limite l’application de cet article aux entreprises d’au moins 500 salariés et à un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros, ou aux filiales de sociétés répondant à ces deux critères mais ayant leur siège social en France.

CAPACITÉS D’INVESTIGATION INSUFFISANTES

Cela représente certes potentiellement 30.000 entreprises. Mais « en l’état actuel (…) on évacue quasiment la totalité des filiales de sociétés étrangères », estime le directeur de l’AFA.

« La deuxième limite est que nos contrôles portent sur l’existence de mécanismes préventifs et que nous n’avons pas, par conséquent, de pouvoirs d’investigation très forts », ajoute-t-il. « Nos contrôles ne nous amèneront à mettre au jour des faits de corruption que de manière assez accidentelle. »

Charles Duchaîne estime aussi que la séparation en France de la prévention et de la répression et des juridictions chargées de les mettre en œuvre peut être un handicap.

« Je redoute que cette division laisse subsister des interstices dans lesquels les dossiers vont se perdre, parce que nos moyens d’investigation ne sont pas suffisants », dit-il. « Ce qui fait la force de la justice américaine, c’est qu’elle consacre des moyens importants à l’investigation. »

De façon générale, Charles Duchaîne juge « absolument indispensable » en France une « augmentation considérable » des capacités d’investigation de la police, de la gendarmerie et de la justice en matière de délinquance économique et financière.

« Aujourd’hui, on concentre l’essentiel des forces sur la délinquance non financière, sur la délinquance visible », dit-il. « Il faudrait en consacrer autant, en tout cas beaucoup plus, à la délinquance (économique et financière), qui ne se voit pas mais trouble l’ordre public de façon beaucoup plus profonde. »

Il estime enfin qu’une autre faiblesse de la loi « Sapin II » est de n’imposer des obligations qu’aux acteurs économiques, non à l’Etat, aux administrations et aux collectivités.

Revenir en haut