Le suspect n°1 avoue avoir tué la journaliste Daphne Caruana Galizia pour €150.000
reuters.com | 05/07/2022, 16:36 | 942 mots
par Stephen Grey
LA VALETTE (Reuters) - L’homme accusé d’avoir assassiné la journaliste d’investigation maltaise Daphne Caruana Galizia en piégeant sa voiture en 2017 a reconnu les faits lors d’un entretien accordé à Reuters, en assurant qu’il impliquerait bientôt d’autres personnes dans le dossier.
George Degiorgio, qui n’avait jusqu’à présent fait aucune déclaration publique sur le dossier, s’exprimait depuis sa cellule. S’il avait été mieux informé sur la personnalité de sa cible, a-t-il ajouté, il aurait réclamé plus d’argent pour ce « contrat ».
« Si j’avais su, j’aurais demandé 10 millions, pas 150.000 », a-t-il déclaré en référence à la somme en euros qu’il dit avoir encaissée pour tuer la journaliste.
« Pour moi, c’était juste du boulot. Ouais, le boulot habituel », a-t-il assuré à un journaliste de Reuters. Il a par la suite déclaré : « Bien sûr, je suis désolé. »
L’interview a eu lieu dans le cadre de la préparation d’un podcast https://wondery.com/links/daphne sur l’affaire intitulé « Qui a tué Daphne ? »
Les avocats de George Degiorgio tentent depuis l’an dernier de négocier une grâce en échange d’aveux sur son rôle dans le meurtre de Daphne Caruana Galizia et d’autres crimes susceptibles d’impliquer des personnalités de Malte.
Mais la cour d’appel de l’île a rejeté le 22 juin les derniers recours de Degiorgio contre les charges retenues contre lui et son frère Alfred, coaccusé, levant le dernier obstacle à la tenue d’un procès.
Le parquet maltais accuse les frères Degiorgio et un complice, Vince Muscat, d’avoir planifié et commis le meurtre de Daphne Caruana Galizia le 16 octobre 2017 en posant une bombe sous un siège de sa voiture à la demande d’un riche homme d’affaires de l’île.
Degiorgio a déclaré à Reuters qu’il plaiderait coupable en cas de procès. « Je vais parler au juge », a-t-il ajouté, précisant qu’il voulait impliquer d’autres personnes dans le meurtre ainsi que dans un précédent projet d’assassinat qui aurait avorté. Il a expliqué vouloir ainsi négocier une réduction de peine pour lui et son frère mais aussi pour que « nous ne soyons pas les seuls à tomber ».
UN RICHE HOMME D’AFFAIRES AU COEUR DU DOSSIER
Les frères Degiorgio avaient jusqu’à présent nié toute implication dans l’assassinat. Vince Muscat, lui, a plaidé coupable de meurtre en 2020 avant d’être condamné à 15 ans de prison, une peine réduite en échange de son témoignage sur ce dossier et d’autres crimes.
William Cuschieri, l’avocat des frères Degiorgio, n’a pas répondu à des demandes de commentaires.
L’un des hommes d’affaires les plus riches de Malte, Yorgen Fenech, a lui aussi été inculpé, en novembre 2019, pour avoir recruté Degiorgio et ses deux complices. Il nie toutes les charges retenues contre lui. Dans un communiqué, son avocat, Gianluca Caruana Curran, a déclaré que Yorgen Fenech voulait prouver qu’« à aucun moment il n’a souhaité, recherché activement ou parrainé » l’assassinat de Daphne Caruana Galizia.
« Tout en protestant avec force de son innocence, M. Fenech maintient qu’avec les éléments disponibles, une enquête indépendante et sérieuse peut conduire à l’arrestation et l’incarcération des véritables responsables de l’assassinat », a-t-il dit.
Yorgen Fenech a été dénoncé par un intermédiaire présumé, Melvin Theuma, un chauffeur de taxi qui a échappé à toute poursuite dans le dossier en échange de son témoignage.
Melvin Theuma a reconnu avoir organisé le meurtre avec les frères Degiorgio sur instruction de Fenech. Il a précisé n’avoir jamais informé les frères Degiorgio de l’identité du commanditaire.
Dans l’entretien accordé à Reuters, George Degiorgio s’est dit prêt à témoigner qu’une personnalité politique maltaise haut placée avait tenté d’organiser le meurtre de Daphne Caruana Galizia deux ans avant son assassinat et qu’il proposerait de témoigner sur l’implication de deux ex-ministres dans un vol à main armée.
Reuters ne publie pas à ce stade plus de détails sur ces allégations, ni sur l’identité des personnes mises en cause par Degiorgio, qui nient toutes leur implication dans quelque crime que ce soit.
Ni la police maltaise ni le parquet n’ont répondu à des demandes de commentaires officiels sur les déclarations de Degiorgio.
DAPHNE CARUANA GALIZIA METTAIT EN CAUSE DES MINISTRES
Daphne Caruana Galizia a été tuée après avoir mis au jour une série d’affaires de corruption impliquant des personnalités de premier plan, parmi lesquelles plusieurs ministres issus du Parti travailliste maltais alors au pouvoir.
Yorgen Fenech a été identifié pour la première fois comme commanditaire possible du meurtre dans une série d’articles publiés en novembre 2018 par Reuters et le quotidien Times of Malta. Ces articles l’identifiaient comme propriétaire d’une société dénommée 17 Black que Daphne Caruana Galizia accusait, sans pouvoir le prouver, de corrompre des responsables politiques.
Interrogé sur les propos de Degiorgio, le fils de la journaliste, Matthew, qui milite depuis le meurtre pour tenter d’obtenir justice, a déclaré à Reuters que « les mots mêmes de George Degiorgio montrent que c’est un tueur froid qui ne mérite aucune clémence ».
Arrêté deux mois après l’assassinat, Degiorgio n’avait alors fait aucune déclaration à la police, refusant même de décliner son identité lors de son premier interrogatoire. Il était resté muet depuis tandis que ses avocats multipliaient les démarches pour contester la validité des pièces l’impliquant dans le dossier.
Mais il tente désormais de négocier avec le parquet avant le procès.
(Reportage Stephen Grey, avec la contribution de Jacob Borg (Times of Malta) ; version française Marc Angrand, édité par Jean-Stéphane Brosse) reuters.com