Nom : Duchaine. Prénom : juge par qui le scandale arrive
Juge d’instruction à Marseille durant dix ans, notamment de l’affaire Guérini, Charles Duchaine a été fait chevalier de la Légion d’honneur à Aix
De moi, ce sont les autres qui en parlent le mieux. Surtout quand ils disent du mal…", s’amuse déjà le juge Duchaine en accueillant ses hôtes. Enchantés. C’est peu banal. Il faut dire que dix ans durant l’on goûtait fort peu les invitations du juge Duchaine (il restera, entre autres, celui qui a mis en examen Jean-Noël Guérini). Un personnage, presque un titre consacré, tant l’homme et la fonction semblent indissociables.
À telle enseigne d’ailleurs que la qualité ferait presque office de prénom. Il faut dire, souligne Jean-Marie Huet procureur général d’Aix, qu’une carrière de magistrat entièrement consacrée à l’instruction, c’est exceptionnel. Même si depuis la rentrée dernière Charles Duchaine (qui est toujours juge qu’on se rassure, ou pas, c’est selon) est directeur général de l’Agrasc, agence de saisie des avoirs criminels (lire ci-dessous). Jean-Marie Huet en préside le conseil d’administration ; c’est lui aussi qui a remis à Charles Duchaine, 52 ans, les insignes de chevalier de l’ordre national de la Légion d’Honneur, au palais Verdun. Et de refaire le parcours de celui qui n’aime guère parler de lui.
Maîtrise de droit privé, école nationale de la magistrature, un premier poste de juge d’instruction à Aurillac. Bastia, Monaco, Marseille où il arrive en 2004, précisément quand est créée la Jirs, juridiction interrégionale spécialisée. Il y joue plutôt dans la catégorie pilier, « avec toujours comme fil rouge, la recherche de la vérité. Vous avez travaillé sur les dossiers les plus passionnants et pris des risques. Vous savez mener des investigations complexes, avec une démarche structurée, mais ça ne vous suffit pas. Alors vous enseignez à l’université, animez des formations et portez la bonne parole à l’étranger sur les avoirs criminels ».
Il était dès lors « pertinent et naturel » que l’on confiât enfin l’Agrasc à Charles Duchaine, reconnu comme un des meilleurs spécialistes de la confiscation des biens. Déjà dans l’ombre et depuis des années, il traquait l’argent du crime…« D’aucuns rêvaient sans nul doute de mon départ », commence d’ailleurs le principal intéressé, amusé et peu enclin à s’étendre, même pour cette cérémonie intime qu’il préfère qualifier de « moment », où il a convié des « invités d’amitié, pas de convenance ». Ça, c’est fait.
Charles Duchaine garde ses mots pour ceux qui l’ont soutenu
Pas forcément diplomate, parfois même un brin irrévérencieux, celui qui se qualifie de « rustique », ne se montre guère, préférant avancer dans l’ombre, pugnace, dans des enquêtes au long cours. « J’ai essayé de faire mon travail », résume-t-il puis, limpide : « Ne voyez pas de fausse modestie dans cette formule. C’est que j’ai essayé de faire mon travail et certains ont essayé de m’en empêcher ». Ça, c’est fait aussi.
Charles Duchaine garde ses mots pour ceux qui l’ont soutenu, supporté, accompagné, conseillé. "Sans vous, je ne serais peut-être plus magistrat", se dévoile-t-il à l’un d’eux, avec un regard entendu. Son épouse et ses enfants s’accommodèrent d’une protection rapprochée, très rapprochée, qui fit que le juge motard et du genre solitaire mais menacé, qui aimait arriver au palais de justice sur sa BMW, s’est vu affecter, 21 mois durant, des officiers de sécurité. Parmi eux, Franck Brinsolaro, policier tué le 7 janvier dernier en protégeant Charb : « un garçon extrêmement discret et professionnel. Rustique, comme moi », confie-t-il lors de ce moment en forme de pied de nez tant « le juge d’instruction est celui par qui le scandale arrive ».
Une légion d’Honneur, alors ? « Ma carrière était assez tumultueuse, ma réputation sulfureuse, pour que je me croie à l’abri de toute reconnaissance officielle. Mais j’y vois l’incitation à conserver une démarche pour l’avenir », promet-il en même temps qu’il s’interroge sur le sens qu’il faut donner aux récompenses de la République. On lui demanda bien, un rien convenu, s’il allait, lui, l’accepter…
« Ne pas le faire, c’eût été se singulariser davantage. Puis ce n’est pas moi qui l’ai demandée », s’amuse-t-il sans s’abriter, pas fâché de se justifier devant ce public choisi : quelques amis, son binôme Bernard Lidin secrétaire général de l’Agrasc, des magistrats et pairs qu’il tenait à retrouver, des enquêteurs de la gendarmerie, de la police et des Douanes, qu’il a exhortés à la détermination, « mais prenez soin de vous ».
Séverine Pardini