OpenLux : « En n’osant pas nommer un paradis fiscal, on ne s’attaque pas aux questions qui minent nos démocraties »

Lundi 8 février 2021

OpenLux : « En n’osant pas nommer un paradis fiscal, on ne s’attaque pas aux questions qui minent nos démocraties »

Par Jérôme Fenoglio

Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 09h55

Éditorial Nos sociétés sont menacées par le constat que la fortune ou les bénéfices octroient la possibilité de s’exonérer de l’intérêt général et des devoirs communs, estime le directeur du « Monde » dans son éditorial.

Avec l’opération OpenLux, dont la publication démarre ce lundi 8 février, Le Monde continue de déverrouiller les portes dérobées de l’économie mondiale. Parmi les grandes enquêtes internationales auxquelles nos journalistes ont participé ces dernières années, les « Panama Papers », en 2016, avaient permis de sonder les fleuves souterrains de l’argent sale, où se mêlent les eaux grises de l’évasion fiscale et les flots noirs des revenus du crime. Puis ; les « Paradise Papers » avaient décrit l’envers de la mondialisation, ces nombreuses failles du système fiscal international, explorées par des avocats de haut vol pour permettre à des ultrariches et des multinationales d’échapper aux taxes et aux impôts tout en demeurant aux limites de la loi.

Tout au long de ces failles, l’argent ruisselle, érodant au passage les fondements de nos démocraties, vers quelques pays qui se sont organisés pour attirer les 427 milliards de dollars (355 milliards d’euros) soustraits aux finances des autres Etats, selon les chiffres révélés en novembre 2020 par l’organisation non gouvernementale Tax Justice Network.

Parmi ces pays, figure toujours le Luxembourg, en dépit de ses efforts pour maquiller sa situation de paradis fiscal au cœur de l’Union européenne. C’est ce que démontre OpenLux, une opération rendue possible en grande partie grâce aux scandales suscités par nos révélations précédentes. En 2018, l’Union européenne a été contrainte d’adopter une réforme majeure pour lutter contre l’opacité financière, en obligeant ses Etats membres à créer des registres des bénéficiaires effectifs, c’est-à-dire les propriétaires réels des sociétés. Le Luxembourg a été l’un des premiers à mettre en place son registre, fin 2019.

Les exigences de transparence et d’équité fiscale vont de pair. Le travail réalisé par Le Monde à partir de ces données, normalement accessibles uniquement au compte-gouttes, démontre tout l’intérêt de la mise en place de dispositifs publics de transparence et de la garantie d’un libre accès à ces outils. Une telle enquête ne serait pour l’heure pas réalisable dans la plupart des autres paradis fiscaux d’Europe, comme Malte, Chypre ou les Pays-Bas. Ceux-ci ont profité de failles de la directive pour imposer des restrictions à la consultation de leurs registres de bénéficiaires effectifs.

Un système hors-sol

Pour ce qui est du Luxembourg, OpenLux nous a permis de déconstruire le discours policé du Grand-Duché. Le vocable de « centre financier international » cache bien mal un paradis fiscal de très grande ampleur, parmi les cinq premiers de la planète. L’environnement favorable que le pays a installé pour la création de sociétés a favorisé un détournement massif de ces structures par des individus et des entreprises qui les exploitent pour payer moins d’impôts, sans s’y installer réellement. Dans ce système hors-sol, ou offshore, près de la moitié des 124 000 sociétés commerciales enregistrées dans le pays sont de pures holdings financières sans ancrage dans l’économie réelle, de simples boîtes à lettres sans bureaux ni salariés. Ces sociétés offshore concentrent 85 % du total des actifs des entreprises du Grand-Duché, soit plus de 6 500 milliards d’euros, selon les révélations d’OpenLux. Lire la suite.

Revenir en haut