Le procureur Di Pietro, âme de « Mani pulite », revient à Genève
Criminalité économique L’ex-magistrat italien raconte comment la justice genevoise a saisi il y a vingt-cinq ans l’argent sale dans le canton.
La police fait main basse sur la ville le 11 février 1993. Un homme en noir mobilise le groupe d’intervention des forces de l’ordre. Les passants sont alertés par une Fiat croma blindée qui s’approche du Palais de justice, sirène hurlante. Une automobiliste de passage ralentit cette procession en gyrophare et se fait remettre à l’ordre par un gendarme : « C’est une personnalité très importante. Laissez passer ! » Sur la place du Bourg-de-Four, un colosse aux pognes de boxeur sort de la voiture italienne avec ses lunettes de soleil et ses gorilles. Il a une tête de bandit en costard.
Il s’agit pourtant d’un magistrat venu tout droit du Parquet de Milan : Antonio Di Pietro, un des quatre procureurs du pool Mani pulite (mains propres), véritable opération de traque de l’argent de la corruption. Ce fils de paysan, devenu ouvrier d’usine en Allemagne puis policier et procureur rencontre ce jour-là ses homologues genevois dans le cadre d’une entraide judiciaire historique. Son enquête, qui a fait tomber la première république, s’appuie en partie sur deux comptes courants, ouverts à Genève par l’ex-président du Conseil italien Bettino Craxi, par le biais d’un ami d’enfance. Des millions de francs de pots-de-vin. Quelques mois plus tard, le politicien conspué jette l’éponge. Il s’exile en Tunisie et échappe à la justice italienne.
[…] Une certaine confusion
Bernard Bertossa se souvient toutefois d’une certaine confusion lors des vagues de demandes d’entraide italiennes : « Les collègues italiens étaient très branchés condamnation et pas tellement blocage et séquestre de l’argent. Nous avons dû parfois les guider pour savoir ce qu’ils comptaient faire avec les fonds illicites qui se trouvaient à Genève. » L’ancien magistrat genevois, qui avait promis d’améliorer l’entraide internationale lors de sa campagne électorale en 1990, estime que Mani pulite a servi sa cause de lutte contre la criminalité en col blanc. Il se souvient avoir invité en 1994 Antonio Di Pietro à Genève avec d’autres collègues européens pour améliorer la situation : « Il n’a pas pu venir car sa mère est décédée. » Mais le mouvement, qui mènera à l’Appel de Genève en 1996, est lancé. Avec six grands magistrats anticorruption, dont un du pool Mani pulite – Bernard Bertossa plaidera pour un espace judiciaire européen : « Tout cela améliorera l’entraide qui laissait notamment trop de place aux recours des avocats qui se précipitaient pour empêcher ou ralentir les actes de la justice. » Lire la suite.