Affaire fiscale « Cumcum » : les banques marquent un point

Vendredi 8 décembre 2023

Le Conseil d’Etat a donné raison à la Fédération bancaire française (FBF), qui attaquait l’interprétation faite par l’administration fiscale du cadre juridique de l’imposition des sociétés françaises cotées au cœur du stratagème appelé « CumCum », mais la partie est loin d’être gagnée.

Agence France-Presse 8 décembre 2023 à 19h22

Deux commentaires administratifs publiés au Bofip (Bulletin officiel des finances publiques) sont annulés, un troisième est largement amputé, selon une décision rendue vendredi dont l’AFP a eu connaissance.

La fédération professionnelle « a pris connaissance de l’arrêt du Conseil d’Etat », écrit-elle dans une réaction envoyée à l’AFP.

Elle avait déposé le 30 mars un recours « pour excès de pouvoir » auprès de la plus haute juridiction administrative française.

Était critiqué l’approche de l’administration fiscale, via une publication quelques semaines plus tôt au Bofip, considérant les banques françaises comme « bénéficiaires effectifs » des dividendes de sociétés françaises cotées en leur possession le jour du versement. Ce sont ces publications qui ont été largement annulées.

Au cœur du sujet, la combine fiscale dite « CumCum » en jargon financier.

Quand une société distribue un dividende à un actionnaire non résident, un impôt de 15% est en principe prélevé à la source, ce qui n’est pas le cas pour les résidents.

Via la pratique dite « CumCum », les détenteurs étrangers d’actions de sociétés françaises pouvaient les confier à un tiers français - en l’occurrence une banque - peu avant le versement du dividende et récupérer le tout peu après, éludant ainsi le prélèvement à la source. Les banques prélevaient une commission pour ce service dit de prêt-emprunt de titre.

  • Le PNF s’en mêle -

L’enjeu est de taille puisque selon les dernières données de la Banque de France, les non ?résidents détenaient fin 2021 40,5% de la capitalisation boursière totale française, principalement en zone euro, aux Etats-unis et au Luxembourg.

Cette combine et sa variante dite « CumEx » ont fait l’objet de 2,5 milliards d’euros de redressements notifiés, pénalités comprises, affirmait le 2 mai devant le Sénat le ministre délégué aux comptes publics, Gabriel Attal.

La décision du Conseil d’Etat est loin d’être une victoire complète pour le lobby. Si l’approche par la notion de « bénéficiaire effectif » est écartée, déchargeant ainsi de sa substance une partie des redressements, celle de l’abus de droit, cependant plus difficile à mettre en œuvre par l’administration fiscale, demeure.

Et derrière le volet fiscal se dresse le volet pénal : le mécanisme « CumCum » fait l’objet de plusieurs enquêtes ouvertes mi-décembre 2021 par le parquet national financier (PNF) pour fraude fiscale aggravée et blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée.

Elles ont débouché le 28 mars sur des perquisitions d’une ampleur inédite, visant cinq établissements financiers : BNP Paribas et sa filiale Exane, Société générale, Natixis et HSBC.

Les opérations de type « CumCum », « malgré la sophistication qui leur est consubstantielle, se bornent à mettre en œuvre un procédé de fraude des plus classiques », avait estimé le rapporteur public Romain Victor dans ses conclusions, énoncées au Conseil d’Etat le 24 novembre.

« Les enquêtes pénales conduites par le PNF demeurent plus que jamais pertinentes », a réagi ce dernier auprès de l’AFP.

La décision « ne statue pas sur la légalité ou l’illégalité des opérations de type CumCum », complète le Parquet, pointant que les enquêtes pénales « portent sur d’autres qualifications délictuelles, notamment le blanchiment de fraude fiscale ».

La responsabilité pénale de personnes physiques, des exécutants jusqu’aux directeurs généraux, si une intervention personnelle est démontrée, serait alors engagée.

Un avocat proche du dossier estime que ce dernier pourrait se solder par une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui permet aux entreprises soupçonnées de corruption, de trafic d’influence ou de fraude fiscale, d’échapper aux poursuites pénales en versant une amende, a priori supérieure aux 2,5 milliards d’euros de redressements notifiés.

Un groupement de seize médias avait révélé en 2018 via les « CumEx Files » ces soupçons de fraude fiscale géante, qui ont fait l’objet en France d’investigations de l’administration fiscale dès 2017.

Cité par plusieurs médias, le Crédit Agricole aurait « collaboré » avec l’administration fiscale sur ces pratiques, selon une source, évitant ainsi une perquisition.

La banque démentait en mai une quelconque participation de sa part « à des "schémas d’évasion fiscale" qui seraient en relation avec les opérations dénommées CumCum ».

bp/mra/eb

Agence France-Presse

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