Fraude fiscale : l’ex-épouse Cahuzac décrit un système familial bien rodé
Sofia BOUDERBALA 12 septembre 2016
Patricia Cahuzac, l’ex-épouse du ministre déchu, a décrit lundi au tribunal correctionnel de Paris une fraude fiscale familiale ancienne et bien rodée : le couple, jugé aussi pour blanchiment, était dès le début « conscient de l’illégalité » de ses pratiques.
À la barre, elle se tient droite, les mains jointes, chignon blond, chemisier blanc et jupe noire, son uniforme depuis le début du procès le 5 septembre.
D’une voix claire, elle décrit cette période où sa vie a basculé : dermatologue à la maison, avec trois enfants, elle devient en 1996 spécialiste de l’implant capillaire à la clinique du Docteur Pierre Pouteaux, chez qui opère déjà depuis six ans Jérôme Cahuzac.
Mais le jeune chirurgien « s’ennuie horriblement », veut se consacrer à la politique et prépare les législatives, qu’il remportera en 1997.
« À la clinique, j’apprends la possibilité de déposer des chèques de patients anglais à l’île de Man. C’est le Dr Pouteaux qui nous donne ses secrets » avant de partir à la retraite, relate-t-elle.
Les époux en discutent et décident à leur tour d’envoyer les chèques à l’île de Man, via une société créée en janvier 1997 à Londres (Ellendale), sur un compte ouvert en mars à la Royal Bank of Scotland.
« De même que je savais qu’il y avait un compte en Suisse - sur lequel j’avais procuration -, le compte à Man était pour nous deux, à nos deux noms », dit-elle. « On était très conscient de l’illégalité de tout cela. »
- « Trichologie » et « électrochoc » -
Elle ira « environ trois fois pas an » à Londres pour retirer du liquide, « 8 à 9.000 euros », souvent le week-end. Elle profitait de visites à l’Institut de trichologie - « du grec »tricho« qui veut dire »cheveu« », précise-t-elle.
Évoquant un retrait bien plus élevé, de 57.000 euros en 2007, le procureur demande si cet argent a pu servir à financer la campagne législative de monsieur. « Je ne crois pas. Je n’en ai aucun souvenir », répond-elle, visiblement étonnée.
En 2007, c’est une femme blessée qui décide d’ouvrir un compte en Suisse, à la BNP, « à l’insu » de son mari : « J’avais découvert que mon mari me mentait. Il n’y avait plus rien de solide dans mon couple. Ce n’était pas mon but de frauder, la discrétion a entraîné la fraude. »
La filiale suisse de la banque française lui signifie en 2010 qu’elle est devenue persona non grata du fait des responsabilités politiques de son mari.
Les avoirs suisses de madame sont alors transférés à la banque genevoise Gonet. En 2011, un second compte est ouvert chez Gonet, pour gérer les avoirs anglais et suisses. Des avoirs estimés globalement à plus de 2,5 millions d’euros, qui ont notamment servi à acheter des appartements aux enfants à Londres.
Dans la matinée, M. Cahuzac a expliqué, lui, avoir fraudé pour « maintenir le train de vie familial », parce que sa femme « acceptait très mal » qu’il « n’assume pas la moitié des dépenses familiales ».
« L’électrochoc pour arrêter de frauder, dit-il dans l’après-midi, c’est mon élection à la tête de la commission des Finances » à l’Assemblée nationale en février 2010.
Un vent mauvais souffle alors sur le secret bancaire, qui se fissure jusqu’en Suisse. Le compte de l’ancien élu, nom de code « Birdie », à la banque genevoise Reyl a pris en 2009 la route de Singapour, via des sociétés écran enregistrées à Panama ou aux Seychelles.
Le couple est dans la tourmente. Mais, après des moments difficiles, l’ancien chirurgien se souvient de « vacances d’été heureuses », pour lui qui est dans une « stratégie de reconquête » de sa femme. Le couperet tombe en septembre 2009.
« Elle me dit que nous sommes arrivés au bout du chemin. J’ai pris la foudre », souffle-t-il, ému.
Le scandale sur le compte caché du ministre star du début du quinquennat éclate fin 2012 et dure des mois car il nie, jusqu’en avril 2013. Des chèques sont encore déposés à l’île de Man en janvier 2013, « un déni de la réalité », analyse aujourd’hui Mme Cahuzac. Le divorce du couple sera prononcé fin 2015.
Les ex-époux et leurs anciens conseillers encourent jusqu’à 7 ans de prison et un million d’euros d’amende. Les réquisitions sont attendues mercredi.
AFP