Les juges fédéraux devraient-ils être élus à vie ?
Fati Mansour Publié mercredi 5 avril 2017 à 19:19, modifié mercredi 5 avril 2017 à 21:36.
La question de l’indépendance des magistrats suisses rebondit avec un récent rapport du Groupe d’Etats contre la corruption. Le recrutement et la réélection des juges sont au cœur du débat. Pour l’ancien procureur général Bernard Bertossa, il ne faut pas toucher au système
Les juges fédéraux devraient-ils être élus à vie ? Plus précisément, faut-il repenser ou supprimer la procédure de réélection des magistrats pour mieux garantir leur indépendance ? C’est une réflexion que recommande vivement de mener le récent rapport du Groupe d’Etats contre la corruption du Conseil de l’Europe (Greco), dont la Suisse fait partie, lequel s’est penché sur les nombreuses particularités du système judiciaire helvétique. Le sujet est sensible et la controverse garantie.
Les membres du Tribunal fédéral et des tribunaux de première instance que sont le Tribunal administratif fédéral, le Tribunal pénal fédéral et le Tribunal fédéral des brevets, sont élus par l’Assemblée fédérale pour une durée de six ans. Ce mandat est renouvelable jusqu’à l’âge de 68 ans.
C’est à la Commission judiciaire du parlement qu’il revient de mettre au concours les postes vacants et de proposer des candidats en fonction d’un savant dosage alliant équilibre des forces politiques, représentation des sexes, critère linguistique et formation juridique. Durant l’élection générale qui a lieu périodiquement, la même commission propose la réélection en bloc de l’ensemble des juges qui se représentent après s’être assurée que rien ne met en cause leur aptitude professionnelle.
Partage du gâteau
Sceptiques quant à ce système qui fait la part belle à l’appartenance partisane des candidats selon des principes non écrits, les évaluateurs du Greco se sont finalement laissés convaincre par une philosophie propre à l’histoire et la tradition de la démocratie helvétique.
[…] Bernard Bertossa : « L’indépendance, c’est un état d’esprit »
L’ancien procureur général du canton de Genève et ex-juge au Tribunal pénal fédéral, se démarque nettement de la position adoptée par l’Association suisse des magistrats. Entretien.
Le Temps : Faut-il améliorer la qualité du recrutement des juges et privilégier le critère de compétence ?
Bernard Bertossa : Il faut savoir qu’une bonne partie des compétences d’un magistrat ne peuvent se tester. Parmi celles-ci figurent le courage, l’indépendance et la capacité de résister aux pressions. Ce sont des qualités indispensables mais souvent impossibles à mesurer. Pour ma part, j’ai toujours craint les juridictions formées d’une caste de « grosses têtes ». La formation académique ne suffit pas à garantir une bonne justice et un bon juriste n’est pas nécessairement un bon juge.
- La pression politique peut s’exercer lors d’une élection ou d’une réélection. Cela ne vous gêne pas ?
- J’ai moi-même vécu un mouvement d’humeur lors de mon élection initiale au Tribunal pénal fédéral. Je n’ai obtenu qu’une courte majorité et j’ai appris que presque tous les députés UDC n’avaient pas soutenu ma candidature. Ce que j’ai trouvé plutôt flatteur. Malgré cette expérience, je reste opposé au principe d’une élection à vie. Celle-ci est contraire à l’ensemble du système suisse qui privilégie l’équilibre des forces politiques. Dans ce contexte, les juges représentent le troisième pouvoir et non pas une sorte d’assemblée de robots qui délivrent des arrêts.
- Quels sont les défauts d’une élection à durée indéterminée ?
- Aujourd’hui, la réélection est un fait mais pas un droit. Pour les juges, c’est aussi une bonne chose de savoir que leur poste n’est pas garanti à vie. Le contraire pourrait devenir un oreiller de paresse. Conceptuellement, la réélection reste nécessaire même si certains juges semblent logiquement préférer la tranquillité d’une situation plus confortable. On peut imaginer rallonger la durée du mandat à dix ans mais cela ne changera pas grand-chose à la situation.
- A vous entendre, le système marche assez bien ?
- Il n’y a en pratique qu’un seul parti qui a recours au vote sanction pour protester contre certaines décisions judiciaires. Les autres partis n’opèrent pas de la sorte. La réélection ne pose généralement aucun problème et offre davantage de légitimité démocratique au juge qui tient son pouvoir des représentants du peuple. On évite ainsi un système de nomination à la française où il suffit de sortir avec succès d’une haute école, mais où il faut ensuite plaire à ses supérieurs pour gravir les échelons de la magistrature, ou encore le système qui prévaut pour la Cour suprême américaine, où l’élection à vie est fonction de l’opinion des candidats sur l’avortement ou la peine de mort, par exemple.
- Peut-on concevoir que certains juges seraient tout de même moins frileux et plus indépendants avec un mandat indéfini ?
– L’indépendance réelle est dans la tête du magistrat. C’est un état d’esprit. Il ne faut pas oublier que cette indépendance est de toute façon relative puisque la fonction du juge consiste à appliquer des lois dont il n’est pas l’auteur et que les décisions de justice sont prises le plus souvent par des juridictions collégiales, du moins au niveau des recours.
(Propos recueillis par F. Ma.)