Marchiani face à Courroye

Lundi 26 juillet 2004 — Dernier ajout mardi 3 juillet 2007

L’Express du 26/07/2004

Affaires

Marchiani face à Courroye

par Gilles Gaetner

L’ancien préfet, proche de Charles Pasqua, va être interrogé par le juge d’instruction. Il risque la détention provisoire

C’est un rendez-vous à hauts risques qu’a fixé dans les tout prochains jours le juge Philippe Courroye à Jean-Charles Marchiani. Une échéance qui n’est pas le fruit du hasard : depuis le 20 juillet, l’ancien préfet du Var, qui n’a pas été réélu au Parlement européen, dont il était membre depuis juin 1999, n’est plus couvert par son immunité. Il peut donc désormais faire l’objet d’une mesure coercitive, par exemple le placement en détention provisoire.

L’ex-député européen, qui a toujours affirmé ne pas vouloir se dérober à la justice, devrait se rendre chez le juge pour y être mis en examen dans deux dossiers au moins. L’Express peut révéler que le premier concerne une commission qu’il aurait perçue dans les années 1990, à l’occasion de la livraison de boîtes de vitesses pour les chars Leclerc par la société allemande Renk. Le juge envisage une mise en examen pour trafic d’influence aggravé.

450 000 dollars pour « Robert »

Le second dossier a trait à un marché passé en 1991 par Aéroports de Paris, pour l’automatisation du tri des bagages à Roissy-Charles-de-Gaulle. Un marché qui aurait entraîné, selon le juge Philippe Courroye, une rémunération indue pour l’ancien préfet. Lequel pourrait se voir signifier une autre mise en examen, cette fois pour recel d’abus de biens sociaux.

A l’issue de l’audition de Marchiani, le magistrat devrait demander son incarcération provisoire au juge des libertés et de la détention - lequel peut la refuser. Une mesure envisagée dès mars 2003, lorsque Philippe Courroye avait sollicité du Parlement de Strasbourg la levée de l’immunité de l’ex-conseiller de Charles Pasqua. Pas d’urgence, avait répondu en novembre le Parlement, imposant donc son veto au juge d’instruction, comme il l’avait déjà fait à trois reprises dans l’affaire des ventes d’armes à l’Angola. En ce mois de novembre 2003, l’ancien préfet pouvait donc respirer. Il n’a joui de sa quiétude que jusqu’au 20 juillet 2004…

Visage mobile, accent à la fois chantant et rocailleux, Marchiani, qui aura bientôt 61 ans, commence sa carrière au Sdece (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), l’ancêtre de la DGSE, au milieu des années 1960. Après un long passage dans le secteur privé, il rejoint en mars 1986 le cabinet du ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, dont il devient le conseiller. A ce titre, il sera l’un des artisans de la libération des otages français au Liban, en 1988.

A la fin de1994, Marchiani se voit confier une nouvelle tâche par Pasqua, revenu Place Beauvau. Il s’agit cette fois d’aboutir à une réconciliation entre le président marxiste angolais José Eduardo Dos Santos et le chef des rebelles de l’Unita, Jonas Savimbi, qui se livrent une guerre sans merci depuis vingt ans. Pour y parvenir, le ministre de l’Intérieur confie une mission de bons offices à Marchiani. Lequel s’envole, à la fin de 1994, pour Luanda, où il rend visite à Dos Santos ainsi qu’au chef des services secrets, le général Miala. Ce dernier est visiblement satisfait du travail de l’émissaire de Pasqua, puisque, le 29 mars 1995, il lui envoie une lettre dans laquelle il entend lui apporter son soutien pour les élections.

Bref, l’Angola, à en juger par la lettre du général Miala, est décidé à aider l’action politique de Charles Pasqua. Un homme est chargé de mettre en musique ces bonnes intentions : Pierre Falcone, mandataire du président Dos Santos pour les livraisons d’armes. Et à l’origine, malgré lui, des ennuis judiciaires de Jean-Charles Marchiani. C’est Falcone, en effet, qui aurait, notamment, versé 450 000 dollars à un certain Robert. Lequel ne serait autre, selon la Brigade financière, que Marchiani lui-même. Ce que l’intéressé a toujours nié.

Le juge Courroye se met alors à rechercher si d’aventure le député européen ne disposerait pas de comptes en Suisse, souvent terre d’accueil d’argent caché. C’est ainsi que son collègue helvète Daniel Devaud découvre que Marchiani est titulaire d’un compte « Stef » à la banque Indosuez-Crédit agricole de Genève : 2,4 millions de deutsche Mark y sont déposés. Ils proviennent d’une fiduciaire dénommée Fidinam, qui gère les avoirs d’un certain Yves Manuel. Cet ancien résistant est le fils de l’un des fondateurs du BCRA, l’ancêtre des services secrets. C’est aussi un voisin de Marchiani, les deux hommes habitant le même immeuble…

Pour en savoir un peu plus, le juge interroge Manuel le 18 octobre 2002. Ce dernier reconnaît avoir perçu 5,5 millions de deutsche Mark pour avoir permis à la société allemande Renk - dont il était le correspondant en France - d’obtenir le contrat de livraison des boîtes automatiques pour les chars Leclerc. Et Manuel de révéler en avoir ristourné la moitié à Marchiani, qui aurait joué un rôle essentiel dans l’issue heureuse des négociations entre Allemands et Français. Interrogé par Courroye, le patron de Renk démentira toute intervention de Marchiani.

Le juge Devaud découvre encore que l’ex-conseiller de Pasqua a perçu, entre 1991 et 1994, plusieurs virements, d’un montant total de 9,7 millions de francs. Toujours déposés sur un compte ouvert chez Indosuez-Crédit agricole de Genève. Pourquoi un tel magot ? Il s’agit a priori d’une rémunération pour services rendus.

Marchiani aurait en effet, grâce à ses relations, permis à la société Vanderland Industries SA de décrocher, le 3 janvier 1991, le marché de tri automatique des bagages à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Seulement voilà : Albert Montluc, chargé par Aéroports de Paris de l’étude de faisabilité de ce marché juteux (400 millions de francs), avouera au juge que, même sans l’intervention de Marchiani, Vanderland Industries SA aurait emporté le morceau. Montluc reconnaîtra encore avoir été destinataire de 2,5 millions de francs sur les 9,7 versés à l’ex-préfet du Var. Lequel, selon Courroye, en aurait rétrocédé la moitié à d’autres bénéficiaires.

L’Express a souhaité recueillir le point de vue de Jean-Charles Marchiani sur ces dossiers. Il a renvoyé à ses récentes déclarations, dans lesquelles il affirme « avoir toujours agi dans l’intérêt de la France […] conformément au droit et à la morale ». Une ligne de défense qu’il ne manquera pas de rappeler lors de son audition devant Philippe Courroye et le juge des libertés et de la détention. Parviendra-t-il à les convaincre ?

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