Écran Total
Casablanca, 1951 : Total trouve son petit coin de paradis fiscal
« Les Jours » ont mis la main sur des archives inédites qui détaillent le premier montage offshore du pétrolier pour réduire ses impôts.
24 novembre 2022 Épisode n° 5
Texte Nicolas Cori Photo Roger-Viollet Édité par Lucile Sourdès-Cadiou
Pointées du doigt pour leur implantation dans les territoires offshore, les multinationales se gardent bien d’avouer qu’elles y sont pour diminuer leur impôt. La plupart du temps, elles évacuent les questions gênantes en assurant que leur présence relève de l’histoire ancienne et que, de toute façon, promis !, elles sont sur le point de s’en aller. Dans ce type d’exercice, Patrick Pouyanné est assez adroit. Interrogé le 21 septembre à l’Assemblée nationale par la députée socialiste Christine Pires Beaune sur le nombre de filiales de Total dans les paradis fiscaux, le PDG du groupe pétrolier a répondu qu’il n’était présent dans les « territoires non coopératifs » – selon la terminologie officielle – que s’il y avait « une activité opérationnelle » et que sa politique depuis 2015 était d’« éliminer patiemment » ces filiales. « On est totalement transparents, a assuré Pouyanné. Il ne nous reste dans les paradis fiscaux que huit filiales aux Bermudes. » Et d’insister : « Il y en avait une trentaine, il en reste huit ».
Si on était cruel, on ferait remarquer que sept ans pour ne pas réussir à fermer toutes ses sociétés-écrans, c’est long. Mais, si vous lisez cette série depuis le début (lire l’épisode 1, « Total : le plein de superprofits, le vide d’impôts »), vous avez compris que ce qui nous intéresse en priorité ici, c’est l’histoire ancienne. Et ce dont le PDG de Total ne parle pas : pourquoi, à l’origine, son groupe s’est installé dans les paradis fiscaux, notamment aux Bermudes. Cela tombe bien : grâce à notre recherche dans les archives du ministère des Finances, nous sommes en mesure de vous raconter cette histoire. Les documents inédits que nous avons trouvés, jamais exploités jusqu’à présent, détaillent des mécanismes complexes et innovants (pour l’époque) qui n’avaient qu’un seul objectif (attendez-vous à ne pas être surpris…) : diminuer la facture fiscale de la Compagnie française des pétroles (CFP), l’ancien nom de Total.
Le Maroc est très accueillant avec les compagnies pétrolières : leurs bénéfices y sont taxés à 10 % contre un impôt sur les sociétés à 34 % en France
Tout commence en 1951 quand l’Irak obtient, comme l’Arabie saoudite (lire l’épisode 4, « Tintin sur les impôts au pays de l’or noir »), un accord « fifty-fifty » (cinquante-cinquante) de partage de ses revenus pétroliers avec l’Iraq Petroleum Company (IPC), société dans laquelle la CFP est actionnaire. Cette charge fiscale supplémentaire représente un péril financier majeur pour Total qui tire l’essentiel de ses revenus du royaume hachémite. Lire la suite.