La fulgurante carrière de « Carlina la peste »

Mardi 3 juillet 2001 — Dernier ajout vendredi 15 juin 2007

La fulgurante carrière de « Carlina la peste »

3 juillet 2001 16:57

« Carlina la peste » : c’est le surnom dont Giuliano Bignasca, le président de la Lega, affublait plutôt méchamment Carla del Ponte. Dans son canton d’abord, à Berne ensuite, ses méthodes ne lui ont pas valu que des louanges. Mais, à la Haye, sa détermination à juger Slobodan Milosevic, l’a faite connaître dans le monde entier.

« Nul n’est prophète en son pays ». Comme Mario Botta, connu mondialement mais boudé chez lui, Carla del Ponte en a fait l’expérience. A Lugano d’abord, lorsqu’en 1990, elle est la première femme à devenir procureure générale, à Berne ensuite, en 1994, lorsqu’elle prend la tête du Ministère public de la Confédération.

Au Tessin, ses enquêtes et sa détermination lui ont fait des ennemis, dans les milieux économiques et financiers notamment. Dans les rangs de la Lega aussi. La formation de Giuliano Bignasca ne lui pardonne pas son obstination à traquer les recycleurs d’argent sale et à mettre sur la sellette les banques suisses et leur inébranlable secret sur les comptes suspects.

Pour le « padre-padrone » de la Lega, « Carlina la peste » fait du tort à son canton, elle en véhicule une mauvaise image.

C’est surtout de l’autre côté de la frontière, en Italie, que Carla del Ponte est devenue une star. Elle s’y est fait connaître au milieu des années 80 lorsqu’elle a hérité de son prédécesseur, Paolo Bernasconi, la suite de l’enquête « Pizza Connection ». Une affaire directement liée à la mafia sicilienne et dans laquelle quelques Tessinois jouaient les blanchisseurs.

En 1990, Carla del Ponte représente l’accusation lors du second procès intenté à Lugano à l’organisation internationale de trafiquants d’héroïne. En Italie toujours, Carla del Ponte a étroitement collaboré avec le juge antimafia Giovanni Falcone, assassiné en mai 1992.

Elle menait une enquête avec lui lorsque, le 20 juin 1989, elle a échappé de justesse à un attentat sur la plage de l’Addaura aux portes de Palerme. Une expérience qui a ébranlé cette femme d’acier.

A l’époque, elle nous avait confié avoir vraiment eu le sentiment d’avoir risqué inutilement sa vie. Lorsque, le 21 mai 1992, sur la route qui mène de l’aéroport à Palerme, Giovanni Falcone, sa femme et cinq policiers de son escorte avaient sauté en l’air, Carla del Ponte avait eu beaucoup de peine à cacher une émotion profonde : « je perds un grand ami, je perds aussi un collègue irremplaçable ».

Après Giovanni Falcone et Giuseppe Ayala, le procureur du maxi-procès intenté à Palerme contre « Cosa Nostra », la Tessinoise a étroitement collaboré avec Antonio di Pietro, le juge du célèbre pool « Mani pulite » (mains propres) qui a fait trembler l’Italie dans la première moitié des années 90.

La collaboration avec l’Italie ralentit lorsqu’en avril 1994, Carla del Ponte est nommée procureure de la Confédération. Certaines de ses enquêtes dérapent : après l’arrestation de trois personnes soupçonnées d’appartenir à l’entourage du terroriste Carlos. Elle doit faire marche arrière. L’une d’elles, un Tessinois, porte plainte. Il sera dédommagé pour arrestation arbitraire et tort moral.

A Berne toujours, la magistrate ouvre une enquête, également contestée, contre le colonel Nyffenegger, accusé de corruption et violation de secret militaire.

Enfin, elle s’occupe du dossier concernant les pots-de-vin payés à Boris Eltsine par des entreprises tessinoises. Sa perquisition manu militari au siège luganais de la Mabetex lui vaut une autre dénonciation.

Le 5 juillet 1996, elle participe en Colombie à un séminaire international sur la corruption. Mais l’avion militaire à bord duquel elle se déplace est pris sous le feu croisé de tirs opposant les Forces armées révolutionaires (FARC) et la police. Carla del Ponte en est quitte pour la peur.

Le 11 août 1999 marque le tournant d’une carrière déjà prestigieuse : Carla del Ponte est nommée, par le Conseil de sécurité de l’ONU, procureure du Tribunal international pour les crimes de guerre en ex-Yougoslavie.

Elle succède à la Canadienne Louise Arbour. A qui elle doit les lauriers qu’elle récolte actuellement !. C’est, en effet, Louise Arbour qui a, en premier, inculpé Slobodan Milosevic.

Ces derniers jours, enfin, passeront à l’histoire pour avoir été ceux de la défaite de l’ex-homme fort des Balkans. Carla del Ponte a réussi ce qui semblait impossible et inespéré : faire arrêter à Belgrade, puis se faire livrer à la Haye, l’ancien numéro un yougoslave. Un exploit qui fait de la Tessinoise une célébrité mondiale.

Carla del Ponte est née à Cevio, un petit village du Valmaggia, le 2 septembre 1947. Après son école obligatoire à Lugano, elle obtient sa maturité dans un collège du canton de Schwytz. Elle étudie le droit à Berne et Genève et obtient sa licence en 1972.

Elle rentre au Tessin où elle fait son stage d’avocat et épouse son collègue Daniele Timbal. De leur union naîtra, en1977, leur fils Mario. Mais, elle divorce en 1986, un an après avoir été nommée substitut du procureur à Lugano.

Membre de la Commission fédérale pour la lutte contre le trafic de stupéfiants, de la Commission de consultation en matière de protection de l’Etat et de la Commission fédérale en matière de criminalité économique, la magistrate tessinoise a été décorée, en 1994 à Rome, de l’Ordre du mérite de la République italienne.

L’année dernière, la ville de Gênes lui a décerné le prix « Primo Levi » pour son combat en faveur de la justice et de la paix.

Enfin, cette année encore, la ville de Dogliani, au Piémont, lui a remis une distinction pour son engagement civil et son courage dans les affaires judiciaires internationales.

Gemma d’Urso, Lugano

Tribunal Pénal International pour l’ex Yougoslavie http://www.un.org/icty/index-f.html

URL de cet article http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=200003&sid=743629

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