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L’embarrassante générosité des oligarques russes pour les institutions et les partis politiques du Royaume-Uni
Le Parti conservateur britannique a largement bénéficié des donations des milliardaires russes qui ont trouvé refuge à Londres depuis les années 1990. Un rapport pointe les menaces d’interférences de ces dons avec la vie politique.
Par Cécile Ducourtieux (Londres, correspondante) Publié hier à 14h17, mis à jour hier à 15h50
Depuis le début de l’invasion en Ukraine, le gouvernement britannique n’a pas de mots assez durs contre les oligarques russes qui, depuis les années 1990, ont fait de Londres leur capitale de prédilection – sûre et peu regardante sur l’origine de leurs fonds. « Il n’y a pas de place pour l’argent sale au Royaume-Uni », a prévenu le premier ministre Boris Johnson, après qu’une dizaine de proches du régime de Poutine ont été sanctionnés par le Royaume-Uni.
Mais Downing Street n’a pas osé s’attaquer à un autre mal : l’étonnante perméabilité à l’argent russe des institutions et des partis politiques du pays – notamment le Parti conservateur. Quelques chiffres : depuis que Boris Johnson est devenu premier ministre, en juillet 2019, son parti a bénéficié de 2 millions de livres sterling (2,42 millions d’euros) d’argent russe – l’information est publique, compilée par la Commission électorale britannique.
Des donations considérées comme légales
L’une des principales donatrices s’appelle Lubov Chernukhin, elle a versé 2,2 millions de livres aux Tories depuis 2012. Sa dernière donation, 66 500 livres sterling (80 700 euros), remonte au 20 décembre 2021. Discrète, cette patronne d’une société immobilière est mariée à un ancien ministre adjoint des finances russe ayant quitté Moscou au début des années 2000. En février 2020, elle a payé 45 000 livres sterling (54 600 euros) pour une partie de tennis avec Boris Johnson et Ben Elliot, le président des Tories.
Elle a déboursé 30 000 livres (36 400 euros) pour une place à côté de Gavin Williamson, alors ministre de l’éducation, lors d’un dîner de charité. En avril 2020, elle a encore dépensé 135 000 livres (164 000 euros) pour partager un repas gastronomique au Goring, un hôtel de luxe à Londres, avec l’ancienne première ministre Theresa May et la ministre du trésor de l’époque, Liz Truss – désormais aux affaires étrangères. Lubov Chernukhin ayant obtenu la nationalité britannique au début des années 2000, ses donations sont considérées comme légales.
Autre généreux donateur russe : l’homme d’affaires Alexander Temerko, qui a versé plus de 1,3 million de livres (1,58 million d’euros) au Parti conservateur ces dernières années. Né en Ukraine, il a fait fortune dans l’armement et le secteur énergétique, mais se défend d’être proche du régime de Poutine. Citoyen britannique depuis 2011, il dit avoir financé le Parti conservateur parce que ce dernier est « pro-business » et qu’il n’est pas d’accord avec les « nationalisations » souhaitées par le Parti travailliste. Achat d’influence, moyen de gagner en respectabilité ? Ces dernières semaines, Downing Street s’est défendu en insistant sur la nationalité britannique des donateurs. Lire la suite.